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E comme Egalité des armes

Par   /   23 avril 2013  /  


Par Yanis ZOUBEIDI-DEFERT, Avocat au Barreau d’EPINAL, Docteur en droit, Chargé d’enseignements à l’Université de Lorraine,

Laura THIRION et Pierre LOIC, Etudiants en Master Droit européen des droits de l’homme, Faculté de droit de NANCY

 

L’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) indique que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial » et précise, en son paragraphe 3 que « l’accusé » (englobant aussi le prévenu dans la définition européenne) doit « disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ».

Cet article, tel qu’interprété par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Cour EDH), implique que « toute partie à une action civile et a fortiori à une action pénale, doit avoir une possibilité raisonnable d’exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la désavantagent pas d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse » (Cour EDH, 30 juin 1959, Swabowicz c/ Suède). Le principe d’égalité des armes se dessinait. Plus récemment, la Cour EDH a défini de manière claire le principe en ces termes: « le principe de l’égalité des armesl’un des éléments de la notion plus large de procès équitable – requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (…) Il implique aussi en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge (…) » (Cour EDH, 26 mai 2002, Fretté c/ France).

De même, en France, le Conseil constitutionnel (CC, N°98-408, 22 janvier 1999, Cour pénale internationale) juge que « les exigences constitutionnelles relatives au respect des droits de la défense et à l’existence d’une procédure juste et équitable » doivent garantir « l’équilibre des droits des parties ».

L’égalité des armes est donc une composante indispensable et nécessaire du procès équitable. On sait que ce principe s’applique lors de l’instruction pénale (l’enquête) et du procès. Or, ces deux moments ne sont que des phases qui succèdent souvent à la garde-à-vue.

Des questions se posent donc immanquablement sur l’application concrète de ce principe. Quand doit commencer cet équilibre garant d’une procédure juste et équitable ? Quand doit-on prendre connaissance de toute pièce et observation soumises au juge ? Un procès est-il vraiment équitable si l’égalité des armes n’a pas été respectée en amont, c’est-à-dire lors de la garde-à-vue ?

Or, même si des progrès ont récemment eu lieu, de graves atteintes au principe d’égalité des armes entre les parties persistent lors de ce premier temps judiciaire.

Du point de vue pénal, les parties en présence sont, d’une part, le Parquet et, d’autre part, l’accusé ou le prévenu. Or, c’est le Parquet qui décide du placement et du maintien en garde-à-vue du mis en cause, dirige les enquêteurs, décide de l’issue de la mesure et ensuite, lors du procès, requiert une condamnation.

Il est incontestable que le Parquet, qui dispose d’une mesure de contrainte et d’agents à son service, prend un avantage appréciable par rapport à l’autre partie, avant même le procès. Les nécessités de l’enquête peuvent, peut-être, justifier l’octroi de certaines prérogatives, mais ce déséquilibre, certes temporaire, ne doit pas conduire à un procès inéquitable.

Ce déséquilibre est renforcé par les conditions déloyales dans lesquelles se déroulent parfois les garde-à-vue. La ruse est souvent employée pour faire croire au gardé-à-vue qu’on n’a que quelques questions à lui poser, qu’il comparait librement, qu’il retournera rapidement au travail ou chez lui et qu’il n’est donc pas nécessaire de demander l’assistance d’un avocat qui risque de mettre deux heures à venir, retardant d’autant sa remise en liberté.

Il est également fréquent que le mis en cause soit briefé  (et même manipulé) de manière informelle, en dehors des auditions par les enquêteurs, et que sa version change subitement lors d’un interrogatoire… Les enquêteurs sont libres, par exemple, d’affirmer qu’ils possèdent des preuves qui, en fait, n’existent pas. Ces techniques ne sont bien évidemment pas systématiques mais posent avec acuité le problème de la mise en œuvre effective du principe d’égalité des armes. En effet, durant toute la durée de la garde-à- vue, ni le mis en cause, ni son avocat n’ont accès au dossier et aux éléments à charge ou à décharge, dont disposent les enquêteurs.

Ce déséquilibre est enfin entériné par l’impossibilité pour le gardé-à-vue et son avocat d’accéder au dossier de fond  En effet, ils ne peuvent obtenir que le procès-verbal constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi (s’il a été dressé), ainsi que les procès-verbaux d’audition. Il est même interdit d’obtenir copie desdits PV.

L’égalité des armes est tellement méconnue lors de la garde-à-vue qu’il est difficile de considérer objectivement que ce principe n’est pas irrémédiablement bafoué même s’il trouve à s’appliquer plus tard. Il est parfois impossible d’inverser la vapeur par la suite.

Pour pallier les conséquences de ce déséquilibre objectif, il est nécessaire que le gardé-à-vue et son avocat aient accès au dossier de fond (éventuelle plainte, éléments de l’enquête, témoignages, relevés d’écoutes téléphoniques, etc.) dès le début de la mesure et qu’ils soient informés des éléments nouveaux intervenus en cours.

Cependant, le Conseil constitutionnel considère que : « le 2° de l’article 63-1 (du code de procédure pénal) dispose que la personne gardée à vue est immédiatement informée de la nature et de la date présumée de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ; que, compte tenu des délais dans lesquels la garde à vue est encadrée, les dispositions de l’article 63-4-1 qui limitent l’accès de l’avocat aux seules pièces relatives à la procédure de garde à vue et aux auditions antérieures de la personne gardée à vue assurent, entre le respect des droits de la défense et l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée ; que, par suite, l’article 63-4-1 n’est contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; » (CC, N°2011-191/194/195/196/197 QPC, 18 novembre 2011 »), position partagée par la Cour de cassation qui estime que l’article 63-4-1 dudit code « n’est pas incompatible avec l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’absence de communication de l’ensemble des pièces du dossier, à ce stade de la procédure, n’étant pas de nature à priver la personne d’un droit concret et effectif à un procès équitable, dès lors que l’accès à ces pièces est garanti devant les juridictions d’instruction et de jugement » (C. cass., crim., 19 septembre 2012, N°11-88.111).

En somme, pour le Conseil constitutionnel, le fait que le mis en cause et son avocat ne puissent consulter que les procès-verbaux de procédure (et non l’ensemble du dossier)  ne remet pas en cause les droits de la défense parce que la mesure est limitée dans le temps et que les nécessités de l’enquête le justifient. Or, ce n’est pas parce que l’inégalité des armes est limitée dans le temps qu’elle n’existe pas… Pour la Cour de cassation, le fait que l’accès à l’entier dossier soit autorisé dans les autres phases (instruction, jugement) permet de « couvrir » cette absence d’équité originelle. Là encore, il faut nourrir un sérieux doute quant à la légitimité de cette position jurisprudentielle. L’instruction et le jugement ne se construisent-ils pas sur les éléments obtenus notamment lors de la garde-à-vue? La discussion d’éléments obtenus lors de la garde-à-vue déséquilibrée demeure-t-elle véritablement équitable ? Assurément non.

Heureusement, cette atteinte au principe d’égalité des armes doit disparaître suite à l’adoption d’une directive européenne N°2012/13/UE du 22 mai 2012 qui rappelle le principe du « droit d’accès au dossier (…) dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un Etat membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ». Il appartient désormais au législateur de traduire cette directive dans le code de procédure pénale. Même si le justiciable peut se prévaloir de la directive, il n’en reste pas moins que le juge rechigne à l’appliquer directement lui opposant les limites ci-dessus exposées du code de procédure pénale.

Le droit va donc évoluer, l’égalité des armes en sera renforcée et l’équité du procès assurée.

Yanis ZOUBEIDI-DEFERT, Laura THIRION, Loic PIERRE

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