Loading...
You are here:  Home  >  Abécédaire  >  Current Article

G comme Garde à vue

Par   /   9 janvier 2013  /  


Par Martin Reynaud, Avocat à la Cour -

Courante. Banale. Presque vulgaire. La garde à vue n’effraie plus. Utilisée à tort et à travers, et sacralisée par une loi en trompe-l’œil, cette mesure radicale de privation de liberté est en quelque sorte entrée dans les mœurs.

Contrôle. Statistiquement, le risque pour chaque personne d’être un jour placée en garde à vue n’est hélas pas négligeable. Il n’est donc pas superflu d’en connaître la définition légale : « la garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs »(1).

La garde à vue, qui ne peut en principe excéder 24 heures, peut en réalité durer jusqu’à 48 heures – et c’est trop souvent le cas. Elle peut aller jusqu’à 96 heures (4 jours) en matière de criminalité organisée, et même jusqu’à 144 heures (6 jours) en matière de lutte contre le terrorisme. Ces prolongations sont ordonnées par le procureur de la République lors de l’enquête (ce qui est pratique puisqu’il la dirige), par le juge d’instruction lors de l’information judiciaire, et dans certains cas par le juge des libertés et de la détention.

Dérive. L’objectif poursuivi lors du placement en garde à vue est, schématiquement, de permettre aux enquêteurs d’exécuter des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne (auditions, perquisitions, analyses, présentation à des témoins, etc.) et/ou d’empêcher que la personne puisse profiter de sa liberté pour nuire à la manifestation de la vérité (par exemple en détruisant des preuves).

Il est regrettable que la garde à vue soit parfois utilisée à des fins déguisées. En cas de dérive elle devient un chiffon rouge que les policiers et gendarmes agitent devant les yeux de celui qu’ils tentent d’impressionner pour obtenir sa coopération, ou parfois simplement sa docilité. Nul n’ignore l’inconfort vraisemblable d’être enfermé dans une cellule crasseuse pendant un ou deux jours ; la menace est des plus persuasives.

Des droits. Fort heureusement, la personne gardée à vue a des droits. Ils doivent lui être notifiés  dès le début de la mesure, mais après dégrisement lorsqu’il est nécessaire. Une fois informé de la nature et de la date de l’infraction qu’il est soupçonné d’avoir commise, on indique au gardé à vue qu’il est autorisé – s’il le souhaite – à faire prévenir un proche et son employeur, à être examiné par un médecin, à être assisté d’un avocat et à garder le silence.

S’agissant du droit à l’assistance d’un avocat et du droit au silence, la France a été très récemment contrainte de les intégrer à son Code de procédure pénale, après avoir été, comme la Turquie, condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Trompe-l’oeil. Avec beaucoup de retard, la loi du 14 avril 2011 a réformé la garde à vue. De l’avis de tous, sauf du conseil constitutionnel, cette loi est imparfaite. Trois exemples parmi d’autres permettent de le constater.

La loi permet l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue, et lors de chacune des auditions du gardé à vue. Mais l’avocat n’a pas accès au dossier, et doit en principe rester muet au cours des interrogatoires et confrontations pour ne s’exprimer qu’à la fin de celles-ci. Il assiste alors, stoïque et souvent stupéfait, à des auditions pouvant durer de longues heures. Dans ces conditions, l’entrée dans les commissariats serait, pour certains avocats, une victoire à la Pyrrhus.

La loi consacre le droit au silence du gardé à vue. Mais elle n’interdit pas aux enquêteurs de l’interroger malgré tout. Il arrive ainsi que se produise la scène surréaliste d’un officier de police judiciaire posant 25 questions à une personne qui, à chacune d’entre elles, doit inlassablement répondre qu’il souhaite garder le silence, et ce, à chaque audition. Epuisé, il oubliera parfois son souhait initial de se taire.

La loi autorise l’audition d’un suspect en dehors de toute garde à vue. C’est ce qu’on appelle «l’audition libre » – les guillemets s’imposent. Cette procédure consiste pour les enquêteurs à avertir une personne qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction, mais à ne pas la placer en garde à vue alors qu’ils pourraient le faire ; ils peuvent alors l’interroger (sans avocat) en lui précisant bien qu’à tout moment elle est « libre » de quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Essayez donc de sortir de la pièce, pour voir.

Martin REYNAUD
Avocat à la Cour
Ancien secrétaire de la Conférence

 

(1) Article 62-2 du Code de procédure pénale 

    Print       Email

You might also like...

C comme Copier/Coller

Read More →