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M comme Mesures de sûreté

Par   /   10 mai 2013  /  


Les mesures de sûreté « peuvent être définies comme de simples précautions de protection sociale destinées à prévenir la récidive d’un délinquant ou à neutraliser l’état dangereux ». C’est-à-dire qu’elles sont infligées à une personne en raison de la dangerosité qu’il représente pour la société. Elles constituent une mesure de précaution sociale afin de prévenir une atteinte, la réalisation d’un risque. Ainsi, les mesures de sûreté se distinguent des peines qui sont infligées en raison d’un acte commis, l’infraction pénale.

Finalité – Les finalités des peines et des mesures de sûreté sont donc à opposer. Alors que la peine a un but de rétribution, c’est-à-dire de punition, la mesure de sûreté s’attache à une atteinte qui n’est que probable. Elle ne renferme en principe aucun sentiment de culpabilité. En conséquence, toute idée de châtiment est bâni dans le cadre des mesures de sûreté. Celles-ci ne doivent prévoir que ce qui est strictement nécessaire pour « traiter » la dangerosité de la personne.

Relativité de la distinction – Néanmoins cette distinction fondamentale entre peine et mesure de sûreté est à relativiser. Elle est essentiellement le fait de la doctrine juridique (c’est-à-dire des auteurs théoriciens du droit) et l’observation du droit positif (le droit actuellement applicable en France) amène à constater que bien souvent, les finalités poursuivies par les peines et les mesures de sûreté se confondent et se cumulent dans une même sanction pénale. En effet, chaque sanction présente à la fois les caractères d’une peine et ceux des mesures de sûreté. Ces diverses sanctions sont alors qualifiées de peine ou de mesure de sûreté en fonction de la prédominance de tel ou tel caractère.

Exemples de mesure de sûreté - Est qualifiée de mesure de sûreté, la rétention de sûreté (créée en 2008), qui permet de priver une personne de sa liberté pour une durée d’un an, renouvelable indéfiniment après l’exécution d’une peine de réclusion criminelle en raison de la persistance d’une dangerosité.

De la même manière, les mesures éducatives prononcées à l’égard des mineurs ont été qualifiées par le législateur de mesure de sûreté. Parmi celles-ci, figure la possibilité de placement du mineur dans une institution d’éducation surveillée ou d’éducation corrective, ou encore la possibilité d’une mesure d’activité de jour.

L’inscription au fichier automatisé des auteurs d’infraction sexuelles et violentes (FIJAIS) est également une sanction qualifiée de mesure de sûreté. Cette inscription implique pour la personne qui en fait l’objet, l’obligation de justifier de son adresse de résidence et dans certains cas, l’obligation de se rendre périodiquement aux services de police ou de gendarmerie.

Enfin, dernier exemple, le placement sous surveillance électronique mobile est une mesure de sûreté imposant des obligations particulières à la personne qui en fait l’objet, notamment concernant ses déplacements en fonction de l’heure de la journée.

Les mesures de sûreté sont des sanctions pénales – L’ensemble de ces mesures, bien que qualifiées de mesure de sûreté, appartiennent aux sanctions pénales. En effet, en premier lieu, elles mettent en oeuvre une restriction de droit ou de liberté, ce qui s’apparente à une sanction. En second lieu, elles sont ressenties comme tel par la personne qui en fait l’objet, ce qui est un élément important à prendre en compte. En dernier lieu, les mesures de sûreté sont en effet tournées vers l’avenir, vers la prévention de la récidive, mais elles s’appuient pour être prononcées sur une infraction passée, tout comme les peines. Il ne s’agit ici que d’une condition d’application, mais il n’en demeure pas moins que les mesures de sûreté sont conçues comme le résultat d’une situation illicite, ce qui entraîne nécessairement leur qualification de sanction pénale.

Malgré ces remarques, c’est-à-dire la relativité de la distinction entre peine et mesure de sûreté ainsi que l’appartenance des mesures de sûreté aux sanctions pénales, la différenciation entre mesure de sûreté et peine amène de nombreuses conséquences. Puisque ne reposant pas sur l’idée de culpabilité et sur la mise en oeuvre d’un châtiment, un certain nombre de principe protecteur des libertés individuelles et des personnes ne trouvent pas à s’appliquer en la matière.

L’absence d’application de principes fondamentaux du droit pénal

Le droit pénal est une matière juridique strictement encadrée par des « grands principes » mis en lumière à partir de la Révolution française. Puisque ce droit contraint les individus et qu’il est susceptible de brider, voir d’abolir les libertés des personnes, il est évident que des principes doivent être respectés afin de limiter les excès, l’arbitraire et toutes dérives imaginables.

Ainsi par exemple, le droit pénal est soumis au principe de légalité des délits et des peines. Cela signifie que pour pouvoir réprimer une infraction et lui infliger une peine, la loi doit impérativement prévoir cette répression avant que l’acte ne soit commis. Il n’est donc pas possible pour le législateur de créer une infraction et sa peine correspondante après la commission d’un fait. Ce principe permet aux individus de prévoir l’application de la loi pénale et de s’y conformer.

Or, en matière de mesure de sûreté, la non-rétroactivé de la loi pénale (une nouvelle loi ne peut pas s’appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur) qui est le corollaire de ce principe de légalité des délits et des peines, n’est pas applicable. Puisque ne reposant pas sur un fait commis, mais sur la probabilité que celui-ci se réalise, la loi pénale peut tout à fait rétroagir et ainsi appréhender des situations constituées avant l’entrée en vigueur de la loi (exception fait de la rétention de sûreté en raison de caractères particuliers à celle-ci, cf. Décision du 21 février 2008 du Conseil constitutionnel, cons. n°10).

Pour cette raison, le nouveau code pénal entré en vigueur en 1994, avait de façon heureuse,  aboli en droit positif la distinction entre les peines et les mesures de sûreté. Ainsi, toutes les sanctions pénales se trouvaient qualifiées de peine et automatiquement soumises aux principes du droit pénal. Seulement, depuis 15 années, les abondantes lois pénales ont très largement réintroduit cette distinction et ont dès lors extirpé les mesures de sûreté de leur soumission aux principes protecteur des individus et de leur liberté. Cette critique est d’autant plus justifiée que le fondement même de ces mesures est également contestable.

La dangerosité comme fondement des mesures de sûreté

N’étant pas tournées vers le passé, mais vers l’avenir, les mesures de sûreté ne se fondent pas sur un acte commis. Au contraire, elles reposent sur une probabilité plus ou moins vérifiée ou vérifiable de commettre une infraction qui est appelée « dangerosité ». Ce fondement amène, pour le moins, deux difficultés : celle de son évaluation d’une part, et celle de la conception de l’individu qu’elle implique d’autre part.

La première question est donc celle de l’évaluation de la dangerosité d’une personne. Celle-ci est confiée à des experts, psychiatres, psychologues, etc. Seulement, lorsque la question est posée à ces personnes de savoir s’il est réellement possible de prédire le comportement d’un individu et donc de ne pas se tromper sur la probabilité qu’il a de commettre une infraction, la réponse est très loin d’apparaître satisfaisante. La prévision du comportement humain reste un domaine tout à fait particulier ne pouvant s’apparenter à une recherche de causalité. La réunion d’un certain nombre de facteurs n’implique pas un passage à l’acte infractionnel. Par ailleurs, cette position induit le déterminisme des personnes, ce qui remet fondamentalement en cause la conception de l’individu que notre société veut retenir.

En effet, et c’est la seconde question qui nous intéresse, concevoir la dangerosité d’une personne comme une probabilité de commission d’une infraction implique le déterminisme de celle-ci. A rebours de la conception qui animait le droit pénal depuis la révolution, avec pour fondement le libre arbitre de chacun, le droit pénal voit donc désormais s’affronter deux idéologies antagonistes. La première fondée sur le libre arbitre et la culpabilité, et la seconde, applicable en matière de mesure de sûreté, fondée sur la dangerosité et le déterminisme de certains individus. Dans cette seconde conception, la personne est réduite au risque qu’elle représente, à sa dangerosité. Elle est appréhendée par ce seul caractère par le droit et c’est en cela, nier l’égale dignité de chaque être humain. La figure du mal s’oppose à celle du bien, des citoyens à celle de l’ennemi.

La finalité des mesures de sûreté n’est pas pour autant à écarter. La nécessité d’une protection de la société par le biais de la prévention de la récidive amène ce constat. Néanmoins, la prise en compte du caractère sanctionnateur des mesures de sûreté ne doit pas non plus être occulté. Il faut le rappeler, elles sont restrictives de liberté et de droit et dès lors, ressenties comme une sanction. A partir de ce constat, il est primordiale que les principes issus de la philosophie des Lumières et consacrés par la révolution soient considérés comme applicables aux mesures de sûreté. Ce n’est qu’à ce prix que les mesures de sûreté deviennent admissibles.

Par Jason CorroyerDoctorant en droit, Université Jean Moulin – Lyon III

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