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M comme Mise en examen

Par   /   14 février 2013  /  


Par Anne-Sophie Laguens, Avocat à la Cour -

«Dominique Strauss-Kahn mis en examen pour proxénétisme en bande organisée». «Handball : les frères Karabatic mis en examen». «Clearstream : mis en examen, Villepin est interdit de rencontrer Chirac». «Meurtre d’une joggeuse à Nîmes : le suspect mis en examen». «Affaire Grégory : inculpation de Bernard Laroche».

La mise en examen, menace, épée de Damoclès qui oscille lourdement sur les protagonistes de la sphère publique, qui lorsqu’elle tombe, sonne comme une sentence dont il est difficile de se relever.

Pourtant, loin d’être une condamnation, la mise en examen signifie l’ouverture d’une enquête approfondie à l’égard d’une personne, lorsque les indices de son implication dans une infraction sont suffisants.

La mise en examen est prévue par le code de procédure pénale à l’égard des «personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions» dont le juge d’instruction est saisi (article 80-1 du code de procédure pénale).

Elle intervient à l’issue d’une garde à vue. Après que la personne y a passé 24H, 48H voire 96H, elle est «déférée» devant le juge d’instruction, qui décide ou non de la mettre en examen.

Elle peut intervenir à l’issue de ce que l’on appelle une «enquête de flagrance» (l’infraction vient de se commettre et la police interpelle rapidement l’auteur potentiel) ou au cours d’une «enquête préliminaire» (enquête pouvant durer plusieurs mois, menant à l’interpellation de certaines personnes à la suite d’investigations poussées).

Le juge d’instruction est toujours saisi de faits particuliers, sur réquisitions du Ministère Public (on dit qu’il est saisi «in rem»), et ne peut donc s’intéresser qu’à ces faits.

Il a l’obligation d’instruire en matière criminelle (homicides, viols, infractions terroristes…) et la possibilité de le faire en matière délictuelle (vols, agressions sexuelles, violences ou encore abus de biens sociaux).

Si le juge considère que les «indices graves ou concordants» ne sont pas réunis, mais qu’il y a néanmoins matière à entendre la personne dans le cadre de l’instruction, il peut la placer sous statut de «témoin assisté» (article 113-1 du code de procédure pénale), c’est à dire un statut de témoin «amélioré» permettant à l’avocat de ce dernier d’avoir notamment accès à l’ensemble du dossier.

Dans l’esprit commun, la mise en examen sonne déjà comme une condamnation. Elle était d’ailleurs dénommée «inculpation» avant que la loi du 4 janvier 1993 ne la remplace par un terme moins connoté.

Si l’on est mis en examen, c’est que le juge a des raisons de croire que l’on pourrait être coupable, il n’y a pas de fumée sans feu.

Ainsi, par un abus de langage malheureusement trop courant, parle-t-on de «présumé meurtrier», et autres «auteur présumé» de braquages, ce, alors que l’on est présumé innocent jusqu’à ce que l’on soit déclaré coupable, en d’autres termes, tant qu’il n’y pas de décision définitive statuant sur la culpabilité (jugement, arrêt de Cour d’appel ou de Cour de Cassation).

Cette présomption diffuse de culpabilité s’insinue jusque dans les débats qui se tiennent devant le juge des libertés et de la détention.

A l’issue de l’interrogatoire de première comparution, qui vise à mettre la personne en examen, le juge d’instruction à la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention (JLD), qui statuera sur l’opportunité de place la personne en détention, ou sous contrôle judiciaire (liberté assortie d’obligations diverses visant à assurer la représentation de la personne tout au long de l’information).

Dans les dossiers criminels, les avocats ne peuvent que déplorer que la détention, censée être l’exception, ait tendance à devenir la règle.

Trouble à l’ordre public, risque de réitération de l’infraction et de pression sur les victimes ou co-auteurs justifient bien souvent, pour le juge, un placement en détention.

Ce parfois, alors que la personne mise en examen bénéficie de garanties sérieuses de représentation (c’est à dire un travail régulier, un domicile, et tout autre élément permettant de s’assurer que la personne mise en examen reviendra sur convocation du juge d’instruction).

En pratique, l’avocat se retrouve confronté aux exigences de rapidité de la procédure : déférés nombreux, enquêtes parfois volumineuses, le juge d’instruction n’a parfois pas le temps de lire l’ensemble du dossier et fait souvent écho au rapport de synthèse rédigé par les officiers de police judiciaire.

Or, la mise en examen souffre d’une mauvaise compréhension de sa nature par l’opinion publique.

Alors que, dans l’esprit du juge et de l’avocat, elle ne signifie que l’ouverture de l’instruction à l’égard d’une personne, c’est à dire la tenue d’une enquête approfondie qui visera à la tenue d’auditions, de confrontations, de perquisitions et d’expertises, dans l’esprit du public, elle tient déjà lieu de reconnaissance de culpabilité.

Plus grave, cette idée selon laquelle une personne mise en examen est déjà «un peu coupable» peut s’immiscer jusque dans l’esprit des jurés d’Assises qui auront à statuer, le cas échéant, sur la culpabilité de l’accusé.

Un communiqué du Parquet visant à informer de la mise en examen d’une personne peut avoir des conséquences désastreuses pour cette dernière, ce alors qu’elle n’a pas été condamnée.

Un éventuel non-lieu quelques mois ou années plus tard, un dédommagement en cas de détention provisoire injustifiée ne réparera pas les préjudices nombreux issus d’une instruction prolongée : la mise en examen peut ainsi rapidement sonner le glas d’une carrière publique, briser un couple et une vie de famille, parfois même anéantir tout ce que quelqu’un aura mis des années à construire.

Le statut de mis en examen reflète ainsi un couperet pour la personne qui en fait l’objet, alors qu’il est également protecteur des droits de la défense : accès au dossier, demandes d’actes, requêtes en nullité, il permet d’avoir une information complète sur l’avancement de l’enquête et les investigations effectuées, mais également de solliciter auditions, confrontations et expertises pour la partie poursuivie.

Le véritable enjeu n’est donc pas tant la pertinence de la mise en examen per se, procédure qui fait néanmoins régulièrement l’objet de projets de réformes aux fins d’assurer la réalité des droits de la défense, mais sa perception par l’opinion publique.

Etre mis en examen, ce n’est pas être déjà coupable. A l’ouverture de l’instruction, les jeux ne sont pas faits. Ils ne font que commencer.

Toute conclusion hâtive tirée de la mise en examen d’une personne serait indéniablement prématurée, et celle-ci ne doit pas être synonyme de mort sociale, comme si les mis en examen étaient inscrits à un fichier national imaginaire des personnes à l’encontre desquelles une instruction a été ouverte.

Car de l’information, puis, le cas échéant, de l’audience de jugement, doit ressortir la vérité.

 

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  • Date de publication: 14 février 2013, 12:44
  • Mis à jour le: 17 mars 2013, 11:01
  • Rubrique: Abécédaire
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