Loading...
You are here:  Home  >  Abécédaire  >  Current Article

P comme Pôle Financier

Par   /   13 février 2013  /  


Par David Reingewirtz, Avocat à la Cour -

« Pôle financier ». Deux mots énigmatiques pour une institution qui demeure encore largement méconnue du grand public comme des professionnels de la Justice. Faut-il croire qu’elle préfère l’ombre à la lumière ?

En 1999, dans le prolongement de la période faste des « affaires » politico-financières des années 1990, des pôles économiques et financiers regroupant des magistrats du parquet (procureurs et substituts) et de l’instruction (juges d’instruction) spécialisés dans les affaires économiques et financières sont mis en place. Les articles 704 et suivants du Code de procédure pénale donnent une existence juridique à ces pôles. Ils font suite à un essai avorté faute de moyens (et sans doute de volonté politique) d’instituer en 1975 des parquets financiers.

Celui situé à Paris au 5-7 rue des Italiens dans le 9ème arrondissement demeure sans conteste le plus connu, non par la qualité de la pizzeria qui encadre l’entrée du passage où il est situé, mais bien davantage par la médiatisation de ses plus célèbres justiciables et l’indépendance mise à l’épreuve de certains de ses plus illustres membres. Pensons, notamment, à quelques affaires passées (Falcone, «Pétrole contre nourriture», Elf), plus récentes (Clearstream, Karachi), d’actualité (escroqueries à la TVA sur les droits carbone, affaire des biens mal acquis, sondages de l’Elysée) ou plus récurrentes (escroqueries aux encarts publicitaires, escroqueries à la carte bancaire, « rip deal »[1]…).

Critiqué à l’origine pour le loyer élevé de ses bureaux anciennement occupés par le journal Le Monde, l’emplacement géographique est pourtant de choix : sur les grands boulevards, au cœur du quartier historique des banques, des compagnies d’assurance et proche de la bourse d’une part, et des théâtres et autres lieux de divertissement d’autre part, il symbolise bien la rencontre du monde des affaires et de la comédie judiciaire (souvent dramatique) qui s’y joue.

Le bien-fondé d’un tel pôle spécialisé se justifie aisément au regard de la complexité des affaires et des montages qu’elles révèlent (sociétés-écrans, intermédiaires, comptes et flux financiers à analyser…), leurs ramifications internationales, le nombre de co-auteurs et complices, et leurs enjeux et préjudices financiers parfois considérables. Cette complexité explique également que les enquêtes préliminaires et informations judiciaires y sont souvent longues, touffues, avec nombre de commissions rogatoires. Elle requiert une certaine appétence des juges, ou à tout le moins une sensibilité, pour la criminalité « en col blanc », le monde des affaires et ses us et coutumes.

Le pôle est aussi pour ses membres (juges d’instruction, procureurs, assistants spécialisés), certains illustres, d’autres obscurs, un signe de reconnaissance et de fierté, symbole de qualité si ce n’est d’excellence. Pour certains, c’est un tremplin vers d’autres cieux (chancellerie, pôle anti-terroriste, cour des comptes…), un aboutissement souvent (après des années de lutte contre la criminalité de droit commun) ou encore un terminus sanctionnant une indépendance jugée suspecte.

Au gré des alternances politiques, les moyens juridiques et humains qui lui sont dévolus varient sensiblement, même si peu contestent la spécificité de la criminalité en « col blanc ».

Deux discours opposés condensent les principales critiques politiques adressées à cette institution.

Le premier, s’appuie sur le thème de la nécessaire dépénalisation de la vie des affaires. La « surpénalisation » nuirait à la compétitivité économique du pays. Exprimé plus ou moins directement, ce discours remet en question le bien-fondé de l’existence du pôle financier. Rapports universitaires et parlementaires sont régulièrement commandés sur ce thème. Instrumentalisés, ils visent à revoir à la baisse ses moyens humains et budgétaires. En pratique, l’asphyxie budgétaire se double d’une baisse du nombre de saisines des juges d’instruction par le parquet. Déplorant dans les colonnes du journal Le Monde (25 mai 2009) la réduction de l’activité du pôle financier, le juge Van Ruymbeke déclarait sans ambages : «ça sent la fin ».

Le second, souligne le traitement de faveur réservé à la criminalité d’affaires, mieux traitée, moins poursuivie et moins sanctionnée que la criminalité de droit commun et s’insurge contre une justice à double vitesse au bénéfice des « puissants ». Ce discours mêle souvent des suspicions sur l’indépendance des juges d’instruction du pôle financier, outre le peu de distinction fait entre ces derniers et les magistrats du parquet. En filigrane, l’existence même du pôle financier qui constituerait une rupture d’égalité entre les justiciables, n’aurait de raison d’être.

Ces deux discours demeurent à la surface des choses, ignorant du fond et de la pratique.

Il est vrai que l’atmosphère du Pôle financier diffère de celle du Palais de justice de l’Ile de la Cité. Nulle file d’attente à l’entrée, le personnel d’accueil est souvent affable et la moquette des couloirs absorbe les bruits, entretenant ainsi une ambiance feutrée, qui sied au design presque « starckien » des lampes de bureau des juges d’instruction.

Mais le juge des libertés et de la détention (JLD), s’il ne siège pas en permanence au Pôle financier, n’hésite pas à se déplacer lorsqu’il est saisi. L’image du grand patron arrivé le matin avec son chauffeur et reparti le soir menotté en fourgon de gendarmes, n’est pas une légende urbaine.

Et le Pôle financier n’est pas non plus réservé à l’élite du « Cac 40 ». S’y croisent des chefs de cabinet et grands patrons certes, mais aussi nombre de « petites mains » (receleurs d’escroqueries à la carte bancaire, « décaisseurs » d’escroqueries à l’encart publicitaire, revendeurs de cigarettes contrefaites ou de subutex…).

Après que l’Association française des magistrats instructeurs ait poussé un cri d’alarme dans un communiqué du 8 mars 2011 dénonçant le déclin organisé de la répression de la délinquance économique et financière à Paris[2], le nouveau Garde des Sceaux a annoncé la préparation d’un texte sur la délinquance financière. Affaire à suivre donc…


[1] Le rip-deal est une opération de change frauduleuse. Les escrocs proposent à leurs futures victimes des opérations de change lucratives et en profitent pour leur extorquer des sommes importantes. Le terme est dérivé des mots anglais to rip (arracher) et deal (affaire).

[2] Pour la section financière, « on est donc passé en trois ans de 26 à 18 magistrats (juges d’instruction plus parquetiers), soit une baisse d’un tiers. Par ailleurs, il ne reste que quatre assistants spécialisés, sur les dix assistants spécialisés prévus à la naissance du pôle »).

    Print       Email
  • Date de publication: 13 février 2013, 11:00
  • Mis à jour le: 17 mars 2013, 11:06
  • Rubrique: Abécédaire
  • Mots-clefs:

You might also like...

C comme Copier/Coller

Read More →