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T comme Transfèrement de personnes condamnées

Par   /   16 mai 2013  /  


Par Hugo Lévy, Avocat à la Cour -

Rares sont les cas où un condamné se réjouit à l’avance de rencontrer son avocat pour la première fois dans le parloir étroit et vétuste d’une prison française.

L’aboutissement d’une procédure de transfèrement de personnes condamnées peut être l’un d’eux.

Lorsqu’au terme d’un long processus mêlant les autorités judiciaires de deux Etats, une personne française, condamnée et soumise à l’exécution d’une peine privative de liberté à l’étranger depuis plusieurs années, retrouve le territoire national et les possibilités d’aménagement de peine prévues par le droit français, il arrive que cela soit vécu par elle comme un immense soulagement et parfois, comme une libération.

Le transfèrement de personnes condamnées figure à l’article 728-2 du Code de procédure pénale et vise l’hypothèse où «  en application d’une convention ou d’un accord internationaux, une personne détenue en exécution d’une condamnation prononcée par une juridiction étrangère est transférée sur le territoire français pour y accomplir la partie de la peine restant à subir ».

Auparavant, le « privilège pénal », défini au XIXe siècle par Ludwig Feuerbach comme « l’ensemble des procédés par lesquels l’Etat réagit contre le crime » était trop étroitement associé à la manifestation de la souveraineté nationale pour que l’Etat qui en avait fait usage se départit du droit de faire exécuter la peine rendue en son non nom. Cette règle avait d’ailleurs été adoptée par l’Institut de droit pénal international dans sa session de Munich de 1883.

La nécessité d’une coopération internationale plus étroite a néanmoins permis l’élaboration de plusieurs instruments internationaux, d’abord bilatéraux puis multilatéraux, comme la Convention de Strasbourg sur le transfèrement des personnes condamnées du 21 mars 1983, entrée en vigueur en France le 1er juillet 1985[1]. Considérant la nécessité de favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées, les Etats du Conseil de l’Europe ont ouvert à la signature un pacte permettant aux étrangers qui ont été privés de leur liberté à la suite d’une infraction pénale « de subir leur condamnation dans leur Etat d’origine ».

A ce jour, cet instrument international, ouvert aux Etats non membres du Conseil de l’Europe (Conv. Strasbourg, art. 19), a été ratifié par 64 pays, dont le Mexique qui s’est récemment illustré par son refus de procéder au transfèrement de Florence CASSEZ[2]. Il a fallu que la Cour suprême Mexicaine annule le 23 janvier 2013 la condamnation  en appel du 4 mars 2009 à 60 ans de prison et ordonne sa libération pour qu’elle puisse enfin effectuer son retour sur le territoire national.

La décision de transfèrement est en effet prise par le ministère de la Justice de l’Etat de condamnation à la demande soit de la personne condamnée, soit de l’Etat de condamnation ou d’exécution. Le condamné, ayant préalablement consenti à la procédure, doit nécessairement avoir la nationalité de l’Etat d’exécution. Toute demande de transfèrement doit être faite par écrit et transmise de ministère de la Justice à ministère de la Justice (Conv. Strasbourg, art. 5-2). Aucun recours n’est prévu par la Convention de Strasbourg en cas de refus de transfèrement par l’Etat de condamnation.

Les conditions du transfèrement (Conv. Strasbourg, art. 3-1-b) comprennent l’exigence d’une décision de condamnation définitive, une peine restant à purger au moment de la réception de la demande qui doit en principe être supérieure ou égale à six mois, et enfin, l’existence dans l’Etat d’exécution d’une infraction équivalente à l’infraction qui a conduit à la condamnation.

Dès son arrivée sur le sol français, le condamné est présenté au procureur de la République du lieu d’arrivée qui « procède à son interrogatoire d’identité et en dresse procès-verbal » (article 728-3 du CPP) et prend les décisions nécessaires à l’adaptation de la peine et à la détermination de sa durée. En effet, le procureur de la République est tenu de déterminer la peine restant à subir puisqu’il lui appartient, afin de garantir le caractère exécutoire de la peine étrangère, de « requérir l’incarcération immédiate du condamné ».

Il y a lieu à adaptation de la peine prononcée à l’étranger si la peine apparaît incompatible avec notre système juridique. Ce sera le cas lorsque « la peine est par sa nature, ou par sa durée, plus rigoureuse que la peine prévue par la loi française pour les mêmes faits » (article 728-4 du CPP). Le tribunal correctionnel du lieu de détention, saisi par le procureur de la République ou le condamné, est compétent pour lui substituer la peine qui lui correspond le plus en droit français ou réduire cette peine au maximum légalement applicable. Ainsi, une peine de travaux forcés prononcée par une juridiction pénale étrangère sera transformée en une peine de réclusion criminelle. Les incidents contentieux relatifs à l’exécution de la peine restant à subir en France sont, en vertu de l’article 728-7 du Code de procédure pénale, réservés à cette même juridiction.

En pratique, le Bureau de l’entraide répressive internationale au ministère de la Justice, qui aura étudié le dossier en relation avec son homologue étranger, signalera au Procureur de la République les cas dans lesquels une adaptation de peine apparaitra  nécessaire.

A compter du transfèrement sur le sol français, l’exécution de la peine est soumise aux dispositions du droit français, sans préjudice des mesures de remises ou réductions de peine accordées par l’Etat de condamnation et afférentes à la période de détention sur le territoire étranger. C’est en vertu de cette règle que le condamné peut demander à bénéficier d’une mesure d’aménagement de peine telle qu’une permission de sortir, une réduction de peine, un régime de semi-liberté ou libération conditionnelle sur la durée de la peine restant à subir.

Ce système est le plus souvent favorable à la personne condamnée qui ayant, par exemple, déjà effectué plus de la moitié de sa peine à l’étranger pourra bénéficier d’une libération conditionnelle dans des délais très courts après avoir saisi le juge d’application des peines. D’où, parfois, de véritables effusions de joie lorsque le condamné, informé de ces dispositions par son conseil, sera présenté pour la première fois au procureur de la République après avoir passé plusieurs années dans une prison étrangère. C’est aussi pourquoi certains Etats, comme le Mexique, ont pu refuser d’accorder le bénéfice de cette Convention en craignant que l’application du droit de l’exécution des peines français à une peine mexicaine constitue une « logique raciste et discriminatoire »[3] à l’encontre des citoyens mexicains qui, eux, ne pourront bénéficier de la substitution d’une peine plus clémente que la peine initiale.

La bonne application des conventions de transfèrement de personnes condamnées est donc essentiellement tributaire de la qualité des relations diplomatiques entre les pays contractants et malheureusement, du degré d’attachement aux principes fondamentaux de l’Etat de droit par l’Etat de condamnation.

Il est incontestable que la démarche a considérablement plus de chance d‘aboutir avec les Etats-Unis qui ont décidé en 2010 du renvoi dans leur pays d’origine de 247 condamnés par l’intermédiaire du « International Prisoner transfer Program »[4], qu’avec le Mexique ou encore le Vénézuéla[5]. Dans ces deux derniers pays, l’influence de la susceptibilité nationale et du désir de se montrer indépendant des pressions extérieures ont infiniment plus de poids sur les institutions judiciaires locales que la volonté de respecter les droits conventionnels des personnes condamnés. L’avocat français qui chercherait à obtenir le retour en France de l’un de ses compatriotes condamné dans un tel pays devra faire preuve  d’imagination et, avec l’appui des autorités consulaires et de ses  réseaux locaux, privilégier l’étude des mœurs autochtones à celle des conventions internationales.

Hugo Lévy

Avocat à la Cour

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