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T comme Travail en prison

Par   /   8 mars 2013  /  


Par Sophie Sarre, Avocat à la Cour -

Parce que les chiffres officiels  évoquent un taux d’emploi de 40%, on croit que travailler en prison, c’est d’abord une question de volonté.

Parce que le travail c’est après tout  la santé, l’image du détenu apaisé se rendant quotidiennement en bleu à l’atelier véhicule en nous une image encourageante, gage de réinsertion future.

Il n’en est rien.

Le travail des détenus reste un parcours de galérien sanctionné par un salaire de sans droits. Il ne dit rien du parcours professionnel que le détenu sera capable d’avoir une fois dehors. L’emploi au dedans et celui une fois sorti étant sans corrélation.

En dépit de cela les places sont chères. Parce que le travail en prison est l’un des moyens de lutter contre l’ennemi numéro un du prisonnier, l’ennui. Parce qu’il permet de bénéficier de remises de peine supplémentaires. Parce que le défraiement qu’il offre permet de cantiner, d’aider peut être une famille dehors, d’éviter, dedans, de tomber sous le joug des caïds du lieu. De commencer à indemniser de possibles victimes. De plaire enfin, au juge d’application des peines.

Alors peu importe le travail, peu importe les conditions, on accepte tout.

Et même ainsi, seuls 25% des détenus ont accès à un travail normal, les 40% officiels n’étant atteints qu’en tenant compte des formations professionnelles et des emplois hors les murs.

Pour cela, il a fallu d’abord faire l’objet d’un classement, d’une admissibilité à l’emploi décidée par une commission pluridisciplinaire unique, qui apprécie la réunion de critères fixes règlementairement et qui ont trait aux capacités du détenu et à sa situation (les détenus provisoires passent ainsi en bout de file).

Le classement et le déclassement sont des décisions internes sans contrôle, donc l’exercice aussi du pouvoir disciplinaire carcéral : si on veut travailler, on se tient à carreau et on ne revendique surtout pas.

On accepte aussi que le travail en détention ne bénéficie pas de la protection liée à l’existence d’un contrat de travail puisque l’article 717-3 du Code de procédure pénale l’exclut expressément. Seules les dispositions relatives à l’hygiène et à la sécurité s’appliquent. Mais les contrôles sont rarissimes et l’inspection du travail devra toujours prévenir de sa visite…

Ni les quotas ni les conditions de travail minimales (travail en cellule à plusieurs courant) ne sont ainsi respectées et l’on travaille très souvent à la pièce alors que notre pays l’interdit. D’où des cadences infernales pour parvenir à un salaire de misère: les plus chanceux et qualifiés peuvent, certains mois, espérer toucher 300/400 euros.

Le salaire horaire oscille lui entre 1.8 et 4.15 euros selon le travail réalisé et son cadre ( les détenus affectés au service général de la prison sont ainsi les moins bien payés, viennent ensuite les concessionnaires, PME au nombre de 500 environ et souvent sous traitantes, puis la Régie industrielle de l’établissement pénitentiaire qui produit pour l’Administration (meubles, imprimerie, etc.) et réalise un chiffre d’affaires d’environ 20 millions d’euros; et, beaucoup plus rarement, certaines associations agrées.

Il existe certes une rémunération minimum imposée comprise entre 33% et 45% du SMIC, le SMR (seuil minimum de rémunération) mais qui tend à n’être qu’une rémunération moyenne idéale théorique et pas un plancher de rémunération. Avec pour conséquence directe, les cotisations retraites étant indexées sur le SMIC, qu’un détenu payé 4 fois mois qu’un Smicard devra cotiser 4 fois plus pour valider une année de retraite…

Si ce salaire est bas c’est d’une part que les conditions d’intervention des entreprises sont opaques. C’est aussi que le travail en détention subit évidemment les contraintes économiques : chute des carnets de commandes, délocalisation de ces activités peu qualifiées. A ces contraintes s’ajoutent celles inhérentes à la détention : obligations de sécurité, chevauchement des horaires de travail et des évènements de la vie carcérale (parloirs famille et avocats, transfèrements, extractions).

Toutes ces interférences freinent encore le développement de l’emploi et confortent les entreprises dans l’idée que le travail en détention est peu qualifié, peu productif et qu’il ne peut rester rentable hors de toute implication sociale de l’entreprise que si la variable d’ajustement qu’est le salaire reste totale.

L’Italie qui a imposé un salaire minimum effectif et a introduit le droit du travail en prison a vu les entreprises déserter.

Resteront ils, ces l’Oréal et ses échantillons, ces Bic et ses promotions sur les rasoirs, ces Yves Rocher et ses paniers Fête des mères à préparer, si le droit entre enfin en prison, quand le travail est si rare, déjà, au dehors?

Le questionnement ne serait  pas forcement illégitime, s’il ne se heurtait à un constat moralement inacceptable : le détenus ont aujourd’hui un statut de travailleurs comparable à la classe ouvrière française des siècles d’antan ou à celle de contrées éloignées.

Et s’ils ne peuvent se défendre seuls, ils doivent être protèges par le droit.

C’est le sens des décisions convergentes rendues, par le Conseil des Prud’Hommes de Versailles qui a octroyé à une détenue des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, reconnaissant ainsi sa compétence, donc l’application du droit du travail.

Les questions ainsi posées doivent prospérer et le cadre juridique évoluer tout comme le contenu, d’ailleurs, du travail en prison.

Car dès lors que le détenu qui travaille constate, à chaque étape de sa relation à l’emploi en prison, que tout droit commun lui est dénié et que les maigres textes applicables ne sont pas respectés, comment peut-il renouer avec le respect dû à cette Loi qu’il a enfreinte, ce pourquoi précisément il se trouve privé de sa liberté?

Et si le travail qu’on lui propose n’est que la caricature sclérosée de la répétition du geste de l’ouvrier des “Temps modernes”, comment croira-t-il alors, lui qui a souvent peu étudié et si souvent peu travaillé avant, que le travail peut lui permettre de se remplir,de se grandir et de nourrir sa relation aux autres?

Travailler en  prison ne sera jamais simple, on le conçoit. Continuer de croire que sans la dignité que lui conférerait le droit et sans davantage de réflexion sur ce que pourrait être son contenu, un tel travail présente utilité  autre que carcérale et économique pour le détenu ou la société est illusoire.

Le débat juridique actuel est donc plus qu’opportun et plus que prioritaire et cet article, on l’espère, un simple “work in progress”.

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