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Hausse de la délinquance : la faute à Valls ou aux statistiques ?

Par   /   28 janvier 2013  /  


La rubrique « Objections » accueille de brefs articles de fact-checking portant la contradiction aux affirmations erronées ou approximatives pouvant être lues ou entendues dans les médias au sujet des questions judiciaires                                                                    

Sur quoi se fondent les affirmations d’Eric Ciotti ?

L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a publié vendredi 18 janvier le bilan annuel de la délinquance constatée par les services de police et de gendarmerie. Ceux-ci ont observé une hausse de la délinquance dans son ensemble, avec des explosions très importantes pour certaines catégories d’infractions.

Cette hausse est particulièrement sensible depuis juin. Cette date coïncidant avec l’élection de François Hollande le mois précédent, Eric Ciotti, député UMP et président du Conseil général des Alpes-Maritimes, l’attribue sur son compte Twitter à la nouvelle politique pénale du gouvernement socialiste. 

Pourquoi Eric Ciotti se trompe-t-il de causalité ?

Cette augmentation de la délinquance est suspecte pour deux raisons. Tout d’abord, pour certaines infractions, l’augmentation est tellement importante qu’elle est « incompatible » avec les « niveaux mesurés précédement », explique l’ONDRP, qui a comparé cette hausse avec l’évolution de 2007 à 2011.

Ensuite, cette augmentation concerne surtout les gendarmeries mais pas la police. Par exemple, les violences, mauvais traitements et abandons d’enfant déclarés à la gendarmerie ont bondi de 105,3% en un an, alors qu’ils ont à peine augmenté côté police. Difficile d’expliquer par un changement de politique pénale un doublement de la violence des ruraux envers les enfants, alors que les urbains resteraient calmes… « Les délinquants ne se sont pas levés un matin en se disant, ça y’est, c’est Valls, on peut y aller ! », rigole Mathieu Zagrodzki, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).

Le changement de collecte statistique dans les gendarmeries

Cette divergence entre gendarmerie et police s’expliquerait par la mise en place de Pulsar, le nouvel outil informatique d’enregistrement des plaintes dans les gendarmeries, officiellement mis en place en janvier 2012. « C’est la cause principale », affirme Christophe Soullez, directeur de l’ONDRP.

Ce nouveaux logiciel a permis de rendre la délinquance plus visible dans les statistiques par un meilleur classement des faits pour lesquels une plainte est déposée à la gendarmerie. L’ONDRP range les infractions en 103 indexs, mais certains d’entre eux ne participent pas à l’évaluation officielle de la délinquance, comme les atteintes sexuelles (index 13). « On n’a pas pas intégré certains indexs d’infractions car ils relèvent d’un phénomène criminel très précis qui ne rentrait dans aucun des quatre grands indicateurs que nous avons fixé[1]», explique Christophe Soullez.

Or, entre 2011 et 2012, une baisse importante de certains indexs hors indicateurs semble coïncider avec la hausse d’indexs portant sur des infractions proches, mais qui sont eux comptabilisés dans les chiffres officiels de la délinquance. Par exemple, les atteintes à la dignité et à la personnalité ont baissé de 24,2% mais, parallèlement, les menaces et chantages ont augmenté de 21,2%. « On a un phénomène de vases communicants entre plusieurs infractions », analyse le directeur de l’ONDRP.

Ce report pourrait s’expliquer par la mise en place de Pulsar. Ce logiciel propose des entrées d’infractions beaucoup plus précises que les 103 proposés par l’ONDRP car il est calqué sur la codification en œuvre dans le système judiciaire (NATINF), qui est composée de 14 000 entrées. « Cette plus grande précision fait qu’il est beaucoup plus facile pour un agent de classer les infractions dans les bonnes cases et donc dans les bons indexs », explique Christophe Soullez.

Pulsar a aussi limité les possibilités de retouche des chiffres par les services de gendarmerie car, « les plaintes sont enregistrées immédiatement et systématiquement dans le système par l’agent qui les recueille», explique Mathieu Zagrodzki. Donc « sans intervention du gendarme » dans un deuxième temps, précise Christophe Soullez.

Avant Pulsar, l’enregistrement se faisait en deux temps, par deux logiciels. « L’agent rentrait la plainte dans un premier logiciel de saisie, puis le fait pouvait être requalifié par le gendarme lors de la saisie dans le JUDEX, le fichier de traitement des infractions constatées », précise Mathieu Zagrodzki. Si la gendarmerie voulait faire baisser ses chiffres, il lui suffisait alors de requalifier dans un deuxième temps le fait en contravention ou en infraction hors indicateurs, donc non comptabilisé dans les statistiques officielles. Avec Pulsar, cette possibilité disparaît.

Pourquoi l’augmentation est-elle particulièrement forte à partir de juin ?

« On ne l’explique pas, pour le moment », déplore Christophe Soullez. Il avance cependant plusieurs hypothèses. La première est la mise en œuvre progressive de Pulsar. « La gendarmerie assure qu’ils l’ont mise en œuvre en janvier, mais en réalité il a été déployé en mai et juin », assure-t-il. « L’abandon de la politique du chiffre pourrait aussi avoir jouer», explique Christophe Soullez. Pour Mathieu Zagrodzki, « la pression s’est relâchée directement et indirectement après l’élection de François Hollande : directement car le gouvernement actuel est moins insistant sur les chiffres, indirectement car dans les semaines qui suivent un changement de majorité, on change de directeurs de police, de gendarmerie, de préfets, on est dans l’expectative, et on fait moins attention aux résultats ».

D’autres causes pourraient aussi être à l’œuvre. Mathieu Zagrodzki évoque notamment une augmentation du dépôt des plaintes pour certaines infractions « comme les violences intrafamiliales », dont les victimes sont de plus en plus encouragées à se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie. Enfin, la crise économique pourrait expliquer l’augmentation importante des vols à l’arrachée. Parmis ces derniers, les vols de colliers en or se sont multipliés, car son cours a fortement grimpé, détaille Mathieu Zagrodzki. Ce n’est donc pas la politique pénale du gouvernement – « la mise en place de peines-planchers ou plus ou moins de policiers » -, mais l’ensemble de ces facteurs « qui va jouer sur les évolutions de la délinquance ».

Anaïs Moutot

[1] atteintes volontaires à l’intégrité physique, atteintes aux biens, infractions révélées par l’action des services, infractions économiques, financières et escroqueries 

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