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Les mineurs sont-ils de plus en plus fréquemment impliqués dans des affaires criminelles?

Par   /   8 avril 2013  /  


A-t-on une « implication de plus en plus fréquente de mineurs extrêmement violents dans des affaires criminelles » ? C’est ce qu’affirme le vice-président du Front national, Florian Philippot, dans un communiqué du 27 mars en réaction aux interpellations de mineurs à la suite de l’attaque d’un RER à Grigny. Il recommande “une réponse beaucoup plus ferme de la part des autorités”.

« On ne peut pas savoir ce genre de choses », met immédiatement en garde le sociologue Gérard Mauger. « L’idée que les délinquants sont de plus en plus jeunes et de plus en plus violents est une rengaine qui s’appuie sur des faits divers marquants plus que sur des statistiques », affirme-t-il.

Les statistiques disponibles – celles de la police et de la gendarmerie d’un côté, de la justice de l’autre – sont difficilement exploitables car leur lecture « pose des tas de problèmes, notamment pour faire des comparaisons », affirme Gérard Mauger. « Ce n’est qu’en examinant des séries longues, sur 100 ans par exemple, qu’on peut éventuellement tirer des conclusions », précise le chercheur.

Les biais des statistiques

Les statistiques de la police et de la gendarmerie ne donnent pas un reflet exact de la délinquance et de la criminalité. Elles indiquent le nombre de personnes mises en cause par les policiers et les gendarmes…et ne répertorient donc que les infractions élucidées, c’est-à dire dont on connaît l’auteur. Il se peut donc qu’un certain type d’infraction soit peu présente dans les statistiques de police car elle difficilement élucidable et, qu’au contraire, un autre type d’infraction soit très présente car elle est facilement élucidable.

Ces statistiques dépendent aussi du comportement des victimes, qui varie au cours du temps et selon l’infraction en question. Ainsi, si le nombre de viols dans les statistiques de la police et de la gendarmerie est en forte augmentation, cela peut simplement signifier que les victimes sont désormais plus nombreuses à porter plainte. Et non pas qu’il y a plus de violeurs.

Ces statistiques sont également influencées par « les priorités et pressions hiérarchiques et politiques »  ainsi que « le renforcement des effectifs policiers dans certaines zones », indique le sociologue Laurent Mucchielli

L’évolution du droit pénal influe aussi sur ces statistiques. Depuis la réforme du Code penal de 1994, de plus en plus de comportements sont incriminés par le droit français. “L’élargissement constant de la définition même des infractions et de leur gravité (par l’ajout de circonstances aggravantes) est un processus qui se développe à vitesse accélérée (…), en particulier en matière de violence », écrit Laurent Mucchielli.

Enfin, les statistiques du Ministère de la justice dépendent aussi du traitement judiciaire des mineurs. Or le taux de réponse pénale pour les affaires concernant des mineurs n’a cessé d’augmenter depuis le début des années 2000, comme le montre ce graphique réalisé par le chercheur Nicolas Bourgoin.

Les statistiques montrent une implication moins fréquente des mineurs dans la délinquance mais une hausse d’une certaine forme de violence

Avec toute la prudence requise face à ces statistiques, une analyse de ces dernières ne permet de toute façon pas d’affirmer de manière péremptoire une « implication de plus en plus fréquente de mineurs extrêmement violents dans les affaires criminelles ».

Au premier abord, en regardant les chiffres en volume, on peut en effet avoir l’impression que le nombre de mineurs impliqués dans la délinquance ne cesse d’augmenter. Par exemple, de 2006 à 2011, le nombre de mineurs mis en cause pour crimes et délits non routiers a augmenté de 2% environ pour atteindre plus de 207 000 mis en cause. Mais cette augmentation ne concerne pas que les mineurs, bien au contraire. Le nombre de majeurs mis en cause a lui augmenté de 7% pour atteindre plus de 965 000 mis en cause.

La part des mineurs dans la criminalité et la délinquance a donc baissé  par rapport à celle des majeurs, comme le montre ce graphique.

Après une augmentation forte de la part des mineurs dans la criminalité et la délinquance de 1993 à 1998 – avec un pic à 22% en 1998 – celle-ci a diminué pour se stabiliser autour de 18% ces dernières années.

Cette hausse à la fin des années 1990 a considérablement renforcé le discours selon lequel les délinquants sont de plus en plus jeunes et violents. Elle a ensuite été reliée aux biais dans l’enregistrement des infractions par les services de police et de gendarmerie. Elle correspond à « une augmentation des infractions facilement repérées et élucidées par les services de police » et ne reflète « pas forcément une évolution des comportements délictueux », écrit Laurent Mucchielli. Pour l’INSEE, c’est « en partie l’effet d’une modification des pratiques de poursuite : les parquets ont demandé aux services de police de signaler plus systématiquement les affaires concernant des mineurs, même pour les faits les moins graves et, dans le même temps, les juges des enfants ont inversé leur tendance à privilégier la voie non pénale à leur égard. À ceci s’ajoute le « filtre » que constitue l’élucidation (les auteurs mineurs étant peut-être plus facilement retrouvés) ».

Une transformation de la structure de la délinquance ?

Mais si l’on regarde le détail des infractions, il est vrai que la part des mineurs dans certains crimes et délits violents a augmenté.

Selon le sociologue Francis Bailleau, la délinquance juvénile se serait transformée à partir du milieu des années 1980 pour aboutir à la fin des années 1990 à une inversion de sa structure. Les délits pour s’approprier des biens ont perdu leur caractère dominant: ils constituaient la moitié des faits de délinquance enregistrés au début des années 1970, contre seulement le quart à la fin des années 1990. Ce sont désormais les délits contre les autorités, les institutions et les personnes qui dominent.

Cette évolution semble se confirmer dans les années 2000. Entre 2003 et 2008, le nombre de mineurs mis en cause pour violences ou menaces contre les personnes a augmenté de 58%, contre 33% pour les majeurs. Le nombre de mineurs mis en cause pour violences contre dépositaires de l’autorité publique a augmenté de 90% dans le même temps.

Par contre, la part des mineurs dans les homicides, crimes qu’on peut qualifier d’extrêmement violents, diminue. « L’homicide reste un crime d’homme d’âge mur », affirme Laurent Mucchielli. « Les jeunes ne font pas exception à la baisse tendancielle de la fréquence des homicides observée depuis le milieu de la décennie 1980 », analyse le sociologue Nicolas Bourgoin.

Et même s’il y a une augmentation, relative, dans les catégories de crimes pouvant être qualifiés de violents, il faut la replacer dans un contexte global. En 2007, Laurent Mucchelli avait précisé que “l’ensemble des faits susceptibles d’être qualifiés de criminels (homicides, viols, vols à main armée, prise d’otage, trafics de drogue) ne représentent que 1,3% du total”.

Enfin, “les enquêtes de victimation et de délinquance auto-reportées menées à des échelles locales et nationale montrent une baisse tendancielle de la fréquence des infractions commises par les mineurs depuis le début des années 1990, contredisant nettement les propos sécuritaires actuellement dominants”, souligne Nicolas Bourgoin. Ces enquêtes de victimation et de délinquance auto-reportée interrogent directement un échantillon representatif de la population sur les infractions dont ils ont été victime ou qu’ils ont commis. Tout est donc une question de choix de statistiques…

Anais Moutot

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