Loading...
You are here:  Home  >  Objections  >  Current Article

L’immigration responsable de la délinquance?

Par   /   4 mars 2013  /  


Lors de l’émission Des paroles et des actes le 8 février dernier, un livre orange fluo, La France orange mécanique, figurait bien en évidence au milieu des fiches de Marine Le Pen, la présidente du Front National. Ecrit par un ancien élève de l’Ecole supérieure de journalisme de Paris (ESJ), ce livre remporte un franc succès sur les sites de vente en ligne et figure en bonne place dans les Fnac.

Sous le pseudonyme de Laurent Obertone, un jeune journaliste de presse locale rompu aux faits divers, dépeint une France rongée par l’insécurité. « L’horreur » y serait « quotidienne» et la délinquance en forte augmentation. La raison invoquée? L’immigration. « A peu près deux tiers des infractions en France sont commis par des immigrants ou des personnes issues de l’immigration », avance-t-il.

Laurent Obertone s’appuie sur moult faits divers et aligne les chiffres, souvent erronés ou sortis d’études qui les remettent en contexte.  Pour contourner le manque de statistiques « ethniques » de la police ou de la gendarmerie, Laurent Obertone s’appuie notamment sur une enquête de délinquance auto-déclarée réalisée en 1999 auprès de 4 000 jeunes entre 13 et 19 ans des agglomérations de Grenoble et Saint-Étienne. Concernant les actes graves, « le fait d’avoir deux parents nés à l’étranger est associé à une délinquance plus fréquente, et ceci est un peu plus vrai lorsque les adolescents sont nord-africains d’origine », souligne Sébastien Roché, le sociologue du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui l’a réalisé. 9,7% des jeunes d’origine maghrébine et 9,2% des jeunes d’origine étrangère autre que maghrébine interrogés déclarent avoir commis 3 actes graves ou plus, contre 3,9% des Français d’origine française.

Laurent Obertone cite également une autre enquête réalisée trois ans plus tard par Sébastien Roché et sa collègue du CNRS Monique Dagnaud. Leur étude à partir de dossiers de mineurs jugés par le tribunal de Grenoble (Isère) entre 1985 et 2000 montre que 66,5% des mineurs jugés ont un père né à l’étranger (pour 49,8% dans un pays du Maghreb) et 60% une mère née hors de France.

Ce constat d’une surreprésentation des personnes d’origine étrangère dans la délinquance et le système pénal n’est plus tellement récusée, même si les études scientifiques manquent encore pour l’affirmer clairement. « Personne ne conteste que dans les grandes agglomérations, il y a une surreprésentation des Noirs et des Arabes dans les foyers de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou dans les geôles des commissariats. La question fondamentale est de savoir pourquoi. C’est là qu’intervient le préjugé raciste : c’est parce qu’ils sont noirs et arabes qu’ils sont plus délinquants », explique Laurent Mucchielli, sociologue spécialiste de la délinquance, à Mediapart.

Causes « raciales » contre variables multiples

Pour Laurent Obertone, la cause est « culturelle ». « Pourquoi certaines communautés abritent-elles une frange sur-délinquante et sur-criminelle ? », s’interroge le journaliste avant de rejeter une à une les causes non « raciales » et de finir sa démonstration sur « le désir d’homogénéité raciale » des sociétés européennes. Or les études qu’il utilise pour sa démonstration ne conduisent pas à des conclusions si simplistes. Pour Sébastien Roché, la délinquance ne peut être expliquée par une variable unique. « Il existe des dizaines de variables socio-économiques qui se recoupent et interagissent », explique-t-il sur son blog.

Pour le chercheur, la différence de classes sociales ne peut pas tout expliquer. Son étude démontre qu’à niveau socio-économique équivalent, les enfants d’immigrés sont plus délinquants que les autres. « Même en prenant en compte le fait que les jeunes d’origine maghrébine sont concentrés au sein des ouvriers et employés, une sur-délinquance persiste», écrit-il.

Laurent Mucchielli a une analyse plus fine : ce n’est pas le niveau socio-économique en tant que tel qui joue sur la délinquance, mais les inégalités de revenus, qui influent surtout sur la petite et moyenne délinquance économique. Une étude de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux qu’il dirige, portant sur la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, souligne que « le niveau des infractions constatées (en particulier de vols et de cambriolages) n’est généralement pas le plus important là où la pauvreté est la plus forte et où les pauvres vivent entre euxIl est souvent le plus fort là où les écarts de richesse sont les plus importants et où les pauvres côtoient tous les jours sinon les plus riches, du moins de plus riches qu’eux. »

Sébastien Roché rejette aussi l’idée du cadre d’habitation comme facteur déterminant. A travers son enquête, il montre une certaine « homogénéité dans le comportement des jeunes d’origine étrangère, quel que soit le lieu de résidence ». « Leur délinquance déborde donc le cadre des banlieues auquel on tend parfois implicitement à la confiner», estime-t-il.

Les sociologues Laurent Mucchielli et Véronique Le Goaziou considèrent eux que le lieu d’habitation est une variable importante. Dans leur livre La Violence de jeunes en question, sorti en 2009, ils ont disséqué 557 dossiers judiciaires impliquant des mineurs ayant commis des faits de violence sur le département des Yvelines, en 1993 puis en 2005. Conclusion : il y a une surreprésentation des jeunes délinquants issus de l’immigration récente. 39 % sont d’origine maghrébine et 19 % originaires d’autres pays d’Afrique. Mais en croisant ces chiffres avec le facteur « habitat », ils observent que 66 % des jeunes en question vivent dans ou à proximité de quartiers dits « sensibles », pris en charge par la politique de la ville.

La socialisation dans la famille et à l’école et les relations avec la police

« La socialisation dans la famille et à l’école », notamment « les difficultés scolaires et la supervision des parents » sont les deux causes mises en avant par Sébastien Roché. Tout d’abord Des problèmes qui peuvent être améliorés par les politiques d’accueil et d’intégration. Pourtant, selon Laurent Obertone, « assimilation ou intégration, régularisations massives ou occasionnelles, droit du sang ou droit du sol », cela ne change rien, les immigrés ayant un penchant naturel pour la délinquance.

Sébastien Roché évoque ensuite « les relations avec la police » : « la perception négative de l’autorité policière » mais aussi le nombre de pairs ayant eu affaire à la police jouent un rôle significatif.

Cette perception négative de l’autorité policière est notamment due au profilage racial que les policiers exercent sur les immigrés. Sur son blog, Sébastien Roché affirme : « On sait effectivement que les policiers contrôlent plus les « non-blancs ». En zone urbaine sensible, c’est même quatre fois plus souvent. Donc les personnes issues de ces minorités ont effectivement plus de risques de se faire prendre ». Deux chercheurs du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), Fabien Jobard et René Lévy, ont montré que le fait d’avoir la peau noire entraîne, selon les sites, un risque d’être contrôlé 3 à 11 fois supérieur et 2 à 15 fois supérieur pour le type maghrébin. Pas suffisant pour Laurent Obertone, qui balaye d’un revers de main la réalité du profilage racial. Selon lui, les jeunes immigrés sont contrôlés à cause de leur look…

Un acharnement pénal

« Nous sommes face à une justice qui concentre son énergie à condamner des jeunes d’origine étrangère » conclue Sébastien Roché après sa seconde enquête.  Une étude sur 543 comparutions immédiates montre que 65 % des prévenus sont d’« apparence maghrébine ou d’apparence noire ». Les étrangers sont plus lourdement sanctionnés, notamment par des peines de prison plus longues et avec moins de sursis, d’après une étude des chercheurs François Jobard et Sophie Névanen portant sur les années 1965 à 2005. Ce n’est pas une discrimination volontaire mais une sorte de cercle vicieux reposant sur la situation de précarité à la fois juridique et sociale de beaucoup d’étrangers. Ils présentent moins souvent que les nationaux des «garanties de représentation» aux procès : domicile, situation familiale, emploi. Les magistrats craignent que les étrangers ne se présentent pas à des convocations ultérieures, voire même qu’ils ne puissent pas les convoquer faute d’adresse», explique Laurent Muccheli. Sébastien Roché affirme lui qu’ « à délit et histoire judiciaire égal », les « non-Blancs » « sont également plus condamnées à la prison. Au total, les rares études disponibles montrent qu’il y a 9 fois plus de personnes d’origine étrangère en prison. Les travaux manquent pour bien expliquer cela ».

Un constat, encore une fois à l’opposé des thèses de Laurent Obertone, selon lequel « face à cette délinquance juvénile, la réponse judiciaire est pour le moins timorée ».

Anais Moutot

    Print       Email

You might also like...

article_Taubira_VALLS_ZSP

Quel est le véritable bilan des ZSP ?

Read More →