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Selon Esther Benbassa, sénatrice EELV, « La majorité des prostituées dites «traditionnelles» sont françaises et en auto-entreprise »

Par   /   26 avril 2013  /  


Suite à l’abrogation du délit de racolage passif par le Sénat le 29 Mars 2013 , la sénatrice EELV Esther Benbassa, qui avait milité en ce sens, livre une interview à la version internet du magazine Elle le 29 mars 2013. La sénatrice du Val de Marne déclare que la majorité des personnes prostituées sont françaises et avec un statut d’auto-entrepreneur. Objection !

Les chiffres de la prostitution, entre fantasme et réalité

Le régime juridique de la prostitution est complexe, et les chiffres qui l’entourent encore plus. La déclaration de la sénatrice Esther Benbassa survient dans un contexte de débat médiatique intense autour de ce sujet : alors que le délit de racolage passif a été instauré par la loi de sécurité intérieure du 18 mars 2003 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem souhaite abolir la prostitution. Cette contradiction même au sein du gouvernement active de nombreux fantasmes sur l’état des lieux de la prostitution en France.

90% des personnes prostituées en France sont d’origine étrangères

Esther Benbassa a tort en considérant que la majorité des personnes exerçant la prostitution en France sont françaises. Le rapport de l’Assemblée nationale du 13 avril 2011 rendu par la mission d’information sur la prostitution en France est très clair sur le sujet : 90% des personnes prostituées en France sur la voie publique seraient de nationalité étrangère, donc dans l’illégalité. Les femmes étrangères qui se prostituent sur la voie publique viennent principalement d’Europe de l’Est (40%), d’Afrique (38%) et de Chine (12,5%) selon les chiffres de l’OCRTEH. Les prostitués hommes, qui représentent environ 13% des travailleurs du sexe, seraient plutôt originaires d’Amérique Latine (72%) ou du Maghreb (12,5%).

NATIONALITÉ DES FEMMES ÉTRANGÈRES SE PROSTITUANT SUR LA VOIE PUBLIQUE
EN FRANCE EN 2010

Source : Rapport de l’OCRTEH, 2010.

 

NATIONALITÉ DES HOMMES ÉTRANGERS SE PROSTITUANT SUR LA VOIE PUBLIQUE
EN FRANCE EN 2010

Source : Rapport de l’OCRTEH, 2010.

Des chiffres à prendre avec des pincettes

Il est en réalité très difficile de connaître les chiffres exacts de la prostitution en France, dans la mesure où les prostitué(e)s victimes de réseaux proxénètes ne se confient pas dans la majorité des cas. D’après l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), il y aurait entre 18 000 et 20 000 personnes prostituées en France aujourd’hui, mais il ne s’agit que d’une estimation.

D’autre part, les chiffres de la police ne comptabilisent que les arrestations, ce qui ne rend pas compte de la réalité de ce phénomène de manière satisfaisante. Par exemple, en 2010, 1 367 personnes ont été mises en cause pour racolage par la police nationale. De plus, la loi contre le racolage passif incitait les prostituées à se cacher et à être moins visibles de peur d’être arrêtées. Le nombre de condamnations annuelles prononcées pour proxénétisme est une piste de réflexion mais ne recouvre pas non plus la réalité du phénomène.

 NOMBRE DE CONDAMNATIONS ANNUELLES PRONONCÉES POUR PROXÉNÉTISME ET PROXÉNÉTISME AGGRAVÉ DE 2000 A 2009

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

Total proxénétisme simple

501

436

370

373

388

371

395

423

457

434

Total proxénétisme aggravé

319

225

305

711

592

627

705

669

512

498

TOTAL

820

661

675

1084

980

998

1100

1092

969

932

Source : direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice (les données 2009 sont provisoires).

Qu’est-ce qu’une « prostituée traditionnelle » ?

En outre, le terme « prostituées traditionnelles » employé par la sénatrice Esther Benbassa porte quelque peu à confusion. Le monde de la prostitution serait séparé en deux, d’un côté les personnes victimes de réseaux et d’autres les travailleurs du sexe volontaires représentés par le STRASS (Syndicat du Travail du Sexe). Le rapport parlementaire de 2011 nuance cette réalité en expliquant que la prostitution est souvent un choix contraint par une trop grande précarité économique ou une misère sociale. En revanche, certaines personnes prostituées se déclarent comme « conseil » avec un statut d’auto entrepreneur, mais il s’agit d’une minorité.

 PART DES FEMMES DE NATIONALITÉ ÉTRANGERE PARMI LES FEMMES PROSTITUÉES
DE RUE ENTRE 1994 ET 2009

Source : Rapports de l’OCRTEH, 1995, 1999, 2001 à 2003, 2009 et 2010.

 

Les Amis du bus des femmes, une association de santé communautaire, évalue à 500 le nombre de personnes prostituées dites « traditionnelles » à Paris. Quant au  rapport de l’Assemblée nationale précédemment cité insiste sur les mutations des visages de la prostitution en France, il note que « la prostitution dite traditionnelle cède progressivement la place à l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains ». Avec le développement d’Internet, la prostitution en ligne s’est également développée, très difficile à quantifier. De plus, les « bar à hôtesses » ou autre « salons de massages » servent souvent de lieu de prostitution et faussent les chiffres.

La chercheuse au  CEVIPOF Janine Mossuz- Lavau, directrice de recherche CNRS, s’est spécialisée dans l’étude des clients des personnes prostituées. Cette démarche n’est pas propice à obtenir des réponses positives puisque le sujet est encore tabou. En réalité, la meilleure source pour avoir une idée des chiffres de la prostitution en France serait d’interroger les prostitués eux-mêmes. Or comme nous l’avons vu plus haut il semble évident que les personnes impliquées dans des réseaux de trafics d’êtres humains ne s’épanchent pas sur le sujet. De même que les personnes étrangères qui ne disposent pas forcément de papiers et sont donc dans l’illégalité.

Ainsi, l’erreur de la sénatrice Esther Benbassa se comprend aisément : la majorité des prostituées « traditionnelles » en France se déclarant comme telles ont plus tendance à être à leur compte et françaises, mais ce n’est qu’une infime partie du phénomène. Cet amalgame tend à ignorer la sordide réalité de l’immense majorité des prostitués, qui sont d’origine étrangères et sont loin de jouir d’un statut professionnel reconnu, en plus de subir des violences psychiques et physiques au quotidien.

Claire Estagnasié

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