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C comme Copier/Coller

Par   /   2 septembre 2014  /  


Par Me Gustave Charvet, Avocat à la Cour - Ancien secrétaire de la Conférence

 

« Le copier-coller et le couper-coller sont des manipulations des appareils informatiques pour reproduire ou déplacer des données (texte, image, fichier, etc.) depuis une source vers une destination

Cette définition, je l’avoue, est elle-même le fruit de cette fonction magique qu’est le copier/coller.

Le « copier/coller », notion apriori ni juridique ni judiciaire mais,  ô combien utilisée par les divers professionnels à tous les stades de la Justice pénale.

Dès la phase policière, on découvre régulièrement d’intéressantes auditions jumelles de témoins, de plaignants voir de mis en cause, mais aussi de fonctionnaires de police interpellateurs.

Certes, ils peuvent avoir vu la même scène, le même « homme de type NA », la même « protubérance » mais, peuvent-ils réellement les décrire avec exactement les mêmes mots, les mêmes phrases, et bien sur les mêmes fautes sans que l’on s’interroge sur cette parfaite concordance ?  

La réponse vient alors de cette fameuse fonction : le copier/coller.

Si pratique mais si inquiétante et dangereuse en matière de Liberté et de Justice.

Ces auditions, ces constations serviront à établir le rapport de synthèse à l’issue de la procédure policière et plus les déclarations concordantes seront nombreuses plus la culpabilité  sera claire et évidente…

La difficulté peut passer à un deuxième stade quand, à l’issue d’une courte instruction comme il en existe parfois, le réquisitoire définitif est lui-même un quasi-jumeau de ce rapport de synthèse.

A quoi a donc alors servi l’instruction ? Le fonctionnaire de police rédacteur du rapport de synthèse doit-il hurler au plagiat ? A-t-il des droits d’auteur ?

Un troisième stade est atteint lorsque le juge d’instruction se livre lui-même au duplicata reprenant à son compte l’œuvre du Procureur de la République.

Le parquet devenant ainsi le nègre du siège.

Il y a alors le « copier/coller » assumé : on change uniquement le titre, passant de « réquisitoire définitif » à « ordonnance de renvoi » ou, beaucoup plus rarement, à « ordonnance de non-lieu ».

Attention toutefois à ne pas finalement « requérir » par cette ordonnance un renvoi…C’est fâcheux.

Il y a aussi le « copier/coller »  timide, honteux : on change également la mise en page.

Un paragraphe coupé en deux, un saut de pages, une autre police et voilà une œuvre de l’esprit, personnelle, fruit d’une réflexion ouverte, à charge et à décharge bien sûr.

Le copier/coller à ce stade a été tellement utilisé que le législateur a souhaité mettre un coup d’arrêt à cette pratique par la loi du 5 mars 2007 imposant, notamment, au magistrat instructeur de reprendre la plume de façon plus personnelle.

Sept ans plus tard, la jurisprudence tend à vider petit à petit cette réforme de son esprit ; le copier/coller timide est des plus tenaces et tellement pratique.

Les bonnes vieilles habitudes…

Dans ces conditions la question un temps soulevée de la suppression du Juge d’instruction ne se pose plus, en se limitant ainsi un rôle de photocopieur il se supprime lui-même.

 

S’il est un terrain ou le copier/coller fait des merveilles, ou des ravages, question de point de vue, c’est celui de la détention provisoire.

Quoi de plus inquiétant que de voir à chaque débat devant le Juge des Libertés et de la détention la même ordonnance de saisine, les mêmes réquisitions et finalement la même décision de prolongation voir le même arrêt de confirmation ?

La Liberté devient alors un concept général bien faible face à l’omniprésente facilité et sa sœur, la paresse.

 

Avouons-le, les avocats ont eux aussi leurs modèles et leur habitudes.

Il n’est pas rare de trouver le nom d’une précédente victime ou même le préjudice d’un autre dans des conclusions de partie-civile.

Ou encore la date de mandat de dépôt ou la maison d’arrêt d’un autre détenu dans une demande de mise en liberté…

 

« Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous » (là encore une reprise)…à voir.

Cette magie du copier/coller, mariée à une paresse tant partagée, est aujourd’hui incontestablement un intervenant majeur de notre Justice pénale.

 

Une nouvelle réforme tendant à renforcer les libertés individuelles et la sécurité juridique ?

Changeons de clavier.

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