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Les Français veulent-ils d’une justice plus sévère ?

Par   /   25 mars 2013  /  


C’est en tout cas ce que déduit le très droitier Institut pour la justice d’un sondage CSA publié le 21 mars.

D’après celui-ci, une large majorité de Français est en faveur d’une justice plus répressive qui met au cœur de la procédure le droit des victimes. Une telle conclusion sonnerait comme un désaveu à la politique de Christiane Taubira. Les Français à rebours de leur Garde des Sceaux ? Pas si simple, nous allons le voir.

Que dit le sondage ?

L’étude d’opinion, réalisée par le sérieux CSA sur commande de l’Institut pour la justice (IPJ) s’enquiert du sentiment des Français à l’égard de la politique pénale. Le Figaro a pris le soin de retranscrire les résultats de cette étude CSA sous la forme d’une infographie qui a le mérite de les rendre plus lisibles : Lien de l’image . De tels résultats ne sont pas sans rappeler les préconisations de Nicolas Dupont-Aignan, abordées dans une précédente “Objection”. Ils laissent aussi songeurs tant ils creusent l’écart avec la politique pénale défendue par la ministre de la Justice. D’autant que Christiane Taubira jouit actuellement d’une popularité florissante à gauche comme à droite, d’après le dernier baromètre BVA en date.

Une pointe de contradiction

Bien que signalé par une dépêche AFP datant du 20 mars, on peut s’étonner que le dit sondage ne soit repris que par des médias qui ne se cachent pas d’être classés à droite, comme c’est le cas du Figaro ou d’Atlantico. Ou encore par des sites qui se contentent de reprendre la dépêche de l’agence. Les médias plus neutres voire à gauche ne daignent pas écrire une ligne sur le sujet. Sujet qui pourrait tout de même faire l’effet d’un coup de tonnerre, tant il sonnerait comme un désaveu pour la politique de la Garde des Sceaux. Parmi ces médias, certains, dont Libération, ont déjà parlé de l’Institut pour la justice en le décrivant comme une « association regroupant des familles de victimes, bien ancrée à droite et favorable au durcissement des peines ».

Qu’est-ce que l’Institut pour la justice ?

L’Institut pour la justice est une association loi 1901 fondée en 2007. Entre collectif de victimes et lobby institutionnel, il lutte pour une modification du système judiciaire en faveur du droit des victimes. Vous vous en souvenez peut-être, il s’est fait connaître avec son « Pacte 2012 pour la justice » , un ensemble de propositions faites aux différents candidats à la présidentielle en matière de justice qui avait obtenu près d’un million de signatures.

L’Institut pour la justice a tendance à avoir recours à la démagogie, en s’appuyant sur un fait divers sordide pour mieux asseoir ses campagnes de sensibilisation. Le fait d’avoir lié la vidéo larmoyante d’un père dont le fils a été assassiné à la pétition pour le Pacte 2012 avait suscité débat à l’époque. Une méthode vivement dénoncée par le célèbre avocat blogueur Maître Eolas qui allait jusqu’à parler de manipulation. Si l’IPJ s’en défend – se déclarant apolitique et indépendant –, de nombreuses voix, de gauche comme de droite, s’accordent pour la classer à droite. Libéation le décrit comme « bien ancré à droite », Le Figaro le dit « proche de la droite ». L’Union syndicale des magistrats (USM), classé apolitique, le place, par la voix de sa vice-présidente Virginie Valton, « entre droite populaire et front national ». Matthieu Bonduelle, le président du Syndicat de la magistrature (SM) classé à gauche, parle lui “d’escroquerie intellectuelle” : « L’IPJ défend des idées sécuritaires mais avance masqué en se déclarant apolitique ».

En se faisant le défenseur du droit des victimes, l’Institut pour la justice tend en outre à aller à l’encontre de la présomption d’innocence et à faire rimer justice et vengeance. Il milite ainsi pour le droit des victimes à faire appel, en lieu et place du ministère public actuellement. Interrogée par L’Express, Virginie Valton, la vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM), juge quant à elle que « l’IPJ part de postulats faux pour aller vers le tout répressif. Le rôle de la justice ne se résume pas à la protection des citoyens. Elle doit enquêter, vérifier, faire respecter la loi et punir l’auteur d’infraction. La peine a plusieurs fonctions: protéger la société, punir, dissuader, mais aussi réinsérer ».

Se méfier des sondages

Même réalisées par des instituts de sondage sérieux, les études d’opinion peuvent s’avérées trompeuses et doivent en tout cas être prises pour ce qu’elles sont, un miroir déformé de la société. Tout résultat d’un sondage dépend de la manière dont la question est posée. Notons ainsi que l’ensemble des intitulés des questions reprennent les mesures défendues activement par l’Institut pour la Justice, notamment au moment de son Pacte 2012. On peut aussi penser qu’une alternative moins sécuritaire n’était pas proposée aux sondés au moment d’être interrogés: Lien de l’image. La signification d’un sondage dépend aussi de son interprétation.

Pour Le Figaro ce sondage révèle le « décalage entre l’angélisme de la politique Taubira et la fermeté affichée de l’opinion, à droite comme à gauche ». Sans appel, le secrétaire général de l’Institut pour la justice, Xavier Bébin, conclut : « Cet aveuglement va continuer à faire exploser la délinquance ». Un avis qui n’est pas sans rappeler celui de Nicolas Dupont-Aignan, lui aussi en faveur du « tout-carcéral » ou de « l’impunité zéro ». La démarche produit l’effet pervers d’opposer radicalement, une fois n’est pas coutume, deux visions d’une même justice. D’une part, celle soutenue par l’Institut pour la Justice, qui place le droit des victimes au centre de la logique judiciaire et préconise la répression. D’autre part, celle des professionnels de la justice, plus que dubitatifs sur les mesures proposées.

Une démarche qui pourrait aussi avoir l’effet d’un pétard mouillé, tant les résultats, bien que surprenants, passent presque inaperçus. Le pavé dans la mare n’a pas fait les éclaboussures escomptées. Les médias seraient-ils lassés d’agiter le spectre de la répression comme seule réponse à l’insécurité ?

Camille Laurent

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