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Marseille est-elle vraiment la ville la plus criminogène de France ?

Par   /   17 mars 2013  /  


« Aujourd’hui, ma ville est un endroit où l’on est capable de se tuer à la kalachnikov. Et parfois, pour pas grand-chose, croyez moi ! Marseille est devenue l’une des communes plus violentes de France.»

La sénatrice PS des Bouches du Rhône et maire des 15ème  et 16ème arrondissements de Marseille, Samia Ghali, en août 2012, suite à un règlement de compte à la kalachnikov ayant fait un mort.

Troisième règlement de compte en moins de 15 jours dans la Cité Phocéenne : le 13 Mars une fusillade à la kalachnikov en plein jour a tué deux personnes et blessé grièvement un jeune homme. Les victimes étaient connues des services de police pour trafics de stupéfiants. Jeudi 14 Mars, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a dépêché 240 policiers dans les quartiers sensibles de la ville méditerranéenne pour appuyer les forces de l’ordre locales dans leur lutte contre les homicides.

Marseille, capitale européenne de la culture, défraye la chronique pour ses faits divers violents. Pourtant, la deuxième commune de France est-elle vraiment la ville la plus criminogène de l’Hexagone ?

Une violence réelle

Au premier abord, Marseille apparaît comme l’une des villes les plus dangereuses de France. En 2012, il y a eu 50 règlements de comptes entre malfaiteurs en France, dont près de la moitié (24) dans les Bouches-du-Rhône, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), aux nouvelles méthodes de calcul discutables.

L’émotion de la sénatrice Samia Ghali en aout 2012 est bien compréhensible suite à un énième règlement de compte. Candidate à la mairie de Marseille en 2014, elle avait demandé l’intervention de l’armée dans les quartiers sensibles contre les trafics de drogues dans sa ville, proposition rejetée par François Hollande qui considère que l’armée n’a pas compétence pour conduire des opérations de police judiciaire.

Toutefois, il convient de nuancer : certes Samia Ghali n’a pas tort lorsqu’elle mentionne les meurtres à la kalachnikov à Marseille, mais ce type de crime n’est pas l’apanage de la Cité Phocéenne. Pour exemple, un homme de 32 ans a été abattu par cette arme de guerre à Toulouse en décembre.

Le crime n’est pas inhérent à Marseille :

Comme le souligne très justement Jérôme Gavaudan, le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Marseille, «  A priori, je ne crois pas que Marseille soit une ville plus criminogène que les autres. On a la même situation dans des départements autour de Paris ».

Une affirmation plutôt fondée. Prenons l’exemple de la ville de Paris, entre janvier et décembre 2012, il y eut 35 483 atteintes volontaires à l’intégrité physique dans la capitale contre 30 387 sur la même période dans les Bouches du Rhône, selon les chiffres de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.

Dans Histoire de L’Eveché, Alain Tourre, ancien patron de la PJ de Marseille, expose que la réputation sulfureuse de la ville ne date que depuis 1860. Alors que 24 personnes ont été tuées à la suite de règlements de comptes dans la région de Marseille en 2012, le criminologue Alain Bauer considère que « le nombre de règlements de compte s’est stabilisé depuis un demi-siècle, il n’y en a pas plus que les autres années ». La différence tient plus à la nature des crimes commis qu’à leur nombre, favorisé par la situation de ville portuaire : « Marseille est une ville qui a internationalisé, globalisé, professionnalisé les crimes liés aux trafics d’hommes et de stupéfiants ». Même son de cloche du côté de Thierry Colombié, spécialiste du grand banditisme en France, qui estime que Marseille n’est pas une zone de non-droit mais « ce qui est nouveau, c’est l’utilisation d’armes de guerre et en filigrane une recomposition locale et internationale des trafics de drogue ».

Une criminalité qui prend plusieurs  formes

Certes, les chiffres de la délinquance marseillaise sont mauvais, mais 2012 a été marqué par une baisse de 32% des vols à main armée dans la Cité Phocéenne (-27% pour les Bouches du Rhône). Le taux d’élucidation n’est que de 38% à Marseille mais atteint les 70% pour les Bouches du Rhône.  La nuance est de mise entre la criminalité de la commune, de l’agglomération, et du département. La confusion n’est pas rare concernant ces trois entités, et il est difficile de comparer la criminalité de Marseille aux autres villes françaises puisque ses quartiers sensibles sont  situés en son sein au lieu de la périphérie comme à Paris. Le journal Le Monde a publié sur son site, un classement ville par ville précisant les taux de criminalité sur une base 1000 pour l’année 2008. Marseille à 114,04, est seconde derrière Nice avec 114,32. Suivent Lille, Toulouse, Lyon. Paris est à 109,81. Mais il existe des villes au taux bien plus élevé. A Avignon la délinquance atteint 122,94 pour 1000 habitants. 166,50 à Saint Denis, la région parisienne.

Ces chiffres réunissent les crimes et les délits. Or, il convient de ne pas les assimiler ces deus termes, souvent mêlés sous le mot de « violences ». Le crime, au sens pénal du terme, est une classification d’infractions plus grave que le délit ou la contravention, qui désigne une infraction commise, à l’instar de l’homicide volontaire (meurtre), de l’assassinat (meurtre prémédité) ou du viol. Alors, la réputation sulfureuse de Marseille provient-elle de la répétition d’actes de délinquance, ou, comme le soutien Samia Ghali, de meurtres à l’arme de guerre ? Selon la préfecture, sur les 7 premiers mois de 2012, la délinquance générale a baissé de 5,6 % à Marseille même, les atteintes volontaires à l’intégrité physique de 2,5 %, et les vols à main armée de 28 %.  Car, plus que le nombre de crime, ce sont les modes d’opération souvent extrêmement violents qui choquent et attisent un sentiment d’insécurité relayé par les médias. Une violence qui est illustrée par les chiffres de saisis d’armes : sur les 7 premiers mois de l’année 2012, la police a saisi 192 armes longues dont 31 fusils kalachnikov et 95 armes de poing.  Sur l’ensemble de l’année 2011, les forces de l’ordre avaient saisi 170 armes longues dont 16 fusils kalachnikov
et 139 armes de poing dont 55 pistolets automatiques.

« Marseille la violente », une construction médiatique ?

Si l’on compare le nombre d’articles de la base de données Europresse dans les 12 derniers mois associant le mot « criminogène » aux cinq plus grandes communes de France (Paris, Marseille, Lyon, Toulouse, Nice), on constate avec évidence que Marseille est beaucoup plus liée à ce terme. Etudier la criminalité par le prisme des médias aide à comprendre l’amplification de certaines réalités et la création d’un phénomène anxiogène. Il faut prendre en compte le contexte d’élections présidentielles en 2012 créant un effet loupe, qui renforce le thème de la sécurité dans le débat public.

Ainsi, le sentiment d’insécurité est effectivement plus perceptible à Marseille, alors que les chiffres de la délinquance baissent. Cette notion reste toutefois très subjective selon Christophe Soullez, chef de département à l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP).

Ce paradoxe s’explique notamment par la forme particulièrement violente que prennent la plupart des règlements de compte marseillais.

Pour aller plus loin : carte interactive des faits de délinquance constatés en France par département de 2002 à 2010.

Claire Estagnasié

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