Loading...
You are here:  Home  >  Abécédaire  >  Current Article

N comme Non bis in idem

Par   /   30 septembre 2013  /  


Par Maître Ambroise Liard, Avocat à la Cour – Ancien secrétaire de la Conférence

 

Non bis in idem s’énonce comme un adage : une même infraction ne peut pas faire l’objet de plusieurs poursuites. Il est consacré par l’article 368 du Code de procédure pénale :

« Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente. ».

 

Les articles 132-1 et suivants du Code pénal, pour leur part, encadrent les hypothèses de concours d’infractions :

- Concours dit « réel » d’infractions quand l’auteur commet plusieurs faits matériels successifs, chacun d’eux constituant individuellement une infraction ; et

- Concours dit « idéal » d’infractions quand l’auteur commet un fait susceptible de recevoir plusieurs qualifications.

 

Dans ces hypothèses, non bis in idem s’applique simplement :

- En cas de poursuite unique, une seule peine sera prononcée dans la limite du maximum légal de la peine la plus élevée prévue pour l’une des infractions en concours ;

- En cas de poursuites séparées, le cumul éventuel des peines s’effectue dans la limite du maximum légal de la peine la plus lourde encourue.

 

Non bis in idem¸ au premier abord, s’apparenterait à un axiome basique  découlant du principe de légalité des peines, pilier de la matière pénale : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. » (article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen).

Et pourtant, ce principe, qui évite les condamnations astronomiques comme celles encourues aux Etats-Unis, n’a pas valeur constitutionnelle.

Ainsi, dans sa décision COB du 28 juillet 1989, le Conseil constitutionnel a écarté la constitutionnalité de non bis in idem au nom de la protection de l’indépendance des ordres de juridiction, principe dit « fondamental issu des lois de la République » : au regard de cette décision, la séparation des contentieux, judiciaires et administratifs permet de légitimer le cumul de poursuites et de sanctions.

La Cour de cassation considère cette position intangible au point, pour les mêmes motifs, de refuser, plus de vingt ans plus tard, la transmission d’une QPC (décision 2012-289 QPC) relative à la procédure disciplinaire applicable aux médecins qui cumule une poursuite devant l’Ordre professionnel et devant les juridictions disciplinaires de la Sécurité sociale.

Il est vrai qu’ériger non bis in idem en principe à valeur constitutionnelle imposerait son application à l’ensemble des procédures pénales, disciplinaires et administratives et obligerait au non-cumul des poursuites et des peines prononcées par chaque ordre juridictionnel.

La CEDH adopte, pour sa part, une position radicalement opposée.

Dans un arrêt Zolotoukhine (GC. 10 février 2009 n°14939/03), elle a statué sur une décision de rétention administrative de trois jours suivie d’une condamnation pénale pour des faits identiques (et mineurs). La Cour a rappelé à cette occasion que l’article 4 du Protocole n°7 de la CEDH interdisait qu’une personne  soit pénalement poursuivie ou punie deux fois pour la même « accusation en matière pénale », alors définie comme une accusation ayant pour origine des faits identiques ou qui sont « en substance » les mêmes que ceux ayant donné lieu à la première infraction poursuivie.

La jurisprudence française écarte cette acception extensive de la « matière pénale » en justifiant sa position à l’encontre de la CEDH par les « réserves » émises à l’application de l’article 4 du Protocole n°7 de la CEDH : « Seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens [de l’article 4 du Protocole n°7] ». Par cette réserve, censée être de nature à justifier la dualité de poursuites et de sanctions, sont unilatéralement écartés non seulement la position de la CEDH mais également l’article 6-1 du Traité sur l’Union Européenne qui donne à la Charte des droits fondamentaux une valeur supranationale. Or l’article 50 de la Charte dispose : « Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a été acquitté ou condamné dans l’Union par un juge pénal définitif conformément à la loi ». La France n’a opposé aucune réserve à cette disposition.

 

Et pourtant….

S’agissant en premier lieu des peines pénales, vient à l’encontre de non bis in idem ce qu’il est convenu, par exemple, d’appeler la « double peine » en matière de « droit des étrangers » . Le juge pénal français peut, en effet, prononcer en plus des peines principales (emprisonnement et amende), des peines complémentaires (définies et listées à l’article 131-19 et suivants du Code pénal) parmi lesquelles la peine d’interdiction du territoire français (en acronyme « ITF », article 131-30 du Code pénal). Concrètement, à l’issue d’une peine de prison, l’ITF constitue un titre permettant à l’administration d’expulser un étranger par la force. « Prison + expulsion » constitue manifestement, au sein du même système répressif, une entorse au non-cumul des peines.

Ce cas n’est pas unique : pour illustration, le cumul existe également, bien que de manière moins dramatique, s’agissant de la suspension du permis de conduire, qui peut s’ajouter aux condamnations pénales liées aux excès de vitesse)

 

En second lieu, les juridictions françaises vont sciemment à l’encontre du principe non bis in idem en de nombreuses matières caractérisées par un double système de poursuites, pénale et administrative : entre  autres, consommation, concurrence, environnement, marchés financiers, banque.

Dans ces domaines, deux raisonnements byzantins viennent entériner le contournement du principe non bis in idem :

- Le syllogisme schizophrène ; et

- La fongibilité de la peine.

 

Sur le premier point, la poursuite des abus de marchés, en matière boursière, est symptomatique. Une opération d’initié, par exemple, peut constituer à la fois une infraction délictuelle (article L.465-1 du code monétaire et financier) et un manquement administratif (article L.621-15 du code monétaire et financier). Un initié est ainsi susceptible d’être poursuivi et sanctionné deux fois pour les mêmes faits, devant le juge pénal et devant la commission des sanctions de l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF »).

Dans ce cadre, les plus hautes juridictions (Cass. Crim. 2 avril 2008 ; AP 8 juillet 2010 ; CE 16 juillet 2010) ont, de manière réitérée, justifié le cumul des poursuites par un syllogisme schizophrène :

- La Commission des sanctions de l’AMF statue « en matière pénale » ;

- Mais la Commission des sanctions de l’AMF n’est pas un « Tribunal », au sens de la réserve française à la CEDH ;

- Dès lors, non bis in idem ne s’applique pas.

Pourtant, malgré la réserve précitée quant aux infractions relevant d’un « Tribunal statuant en matière pénale », le Conseil d’Etat comme la Cour de cassation considèrent que « lorsqu’elle est saisie d’agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par l’article 621-15 du Code monétaire et financier [précité] la Commission des sanctions doit être regardée comme décidant du bien-fondé d’accusations en matière pénale au sens de la CEDH ». Si ce raisonnement était poursuivi jusqu’au bout, la Commission des sanctions de l’AMF serait alors bien une juridiction à part entière à laquelle s’imposeraient les principes du procès équitable ; et pourtant, les juridictions suprêmes françaises estiment finalement que l’AMF reste une simple « commission » appelée à prononcer des sanctions « de nature pénale » mais, en droit, de nature administrative, et qu’elle ne saurait donc s’analyser en un « tribunal ».

Le syllogisme schizophrène confine donc ici à la rhétorique acrobatique.

 

Une seconde figure inédite vient appuyer ce raisonnement fragile : la fongibilité de la peine.

L’articulation des sanctions pénale et administrative a été encadrée par le Conseil Constitutionnel dans la décision COB précitée : « le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé des sanctions encourues ». Effectivement, cette réserve d’interprétation est consacrée par l’article 621-16 du Code monétaire et financier : « Lorsque la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pécuniaire s’impute sur l’amende qu’il prononce. » (soulignement ajouté)

Mais, s’agissant des sanctions pécuniaires encourues pour les abus de marchés, cette disposition inverse, en réalité, l’échelle des peines.Les sanctions administratives encourues devant la commission des sanctions de l’AMF, aux termes de l’article L.621-15 du Code monétaire et financier, sont en effet supérieures à celles encourues en matière délictuelles :

- 100 millions d’euros ou dix fois le montant des profits éventuellement réalisés pour les professionnels (prestataires de services d’investissement agréés, les OPCVM et
leur société de gestion, sociétés cotées, dirigeants d’un émetteur, CAC) ;

- 15 millions d’euros ou 10 fois le montant des profits réalisés pour les personnes physiques placées sous l’autorité ou agissant pour le compte de ces
professionnels.

Or, pour les délits correctionnels d’abus de marché, le plafond de l’amende est fixé :

- pour les personnes physiques à hauteur de 1,5 million d’euros ou le décuple des profits, et par une peine d’emprisonnement de 2 ans ; et

- pour les personnes morales, à 7,5 millions d’euros (article L. 465-3 du CMF et article 131-38 du code pénal).

La commission des sanctions de l’AMF est donc susceptible de prononcer des sanctions pécuniaires qui dépassent largement le plafond des sanctions pénales : pour illustration, par décision du 25 juin 2013, la Commission des sanctions de l’AMF a infligé à la société LVMH une sanction pécuniaire de 8 Millions d’Euros, ce qui excède le plafond de la sanction pénale. Compte-tenu de ces ordres de grandeur, l’amende pénale postérieure peut sans difficulté être absorbée par la sanction pécuniaire administrative, généralement plus forte : il s’agit bien d’une fongibilité de la peine.

En revanche, les peines complémentaires (incarcération en droit pénal ; sanction professionnelle en matière administrative pouvant aller jusqu’au retrait d’agrément ce qui revient à une interdiction d’exercer) sont, pour leur part, applicables, et se cumulent avec les amendes ayant fait l’objet de la confusion censée justifier la conformité à non bis in idem.

 

En définitive, non bis in idem, principe en apparence simple, donne l’occasion aux juridictions françaises de faire preuve d’une créativité opportuniste pour réduire sa portée réelle et le contourner afin de cumuler peines et poursuites.

 

    Print       Email

You might also like...

C comme Copier/Coller

Read More →