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B comme Blanchiment de fraude fiscale

Par   /   3 mai 2013  /  


Par Cyrille Mayoux, Avocat à la Cour -

Depuis le 2 avril dernier et la mise en examen de Jérôme Cahuzac par les juges d’instruction Van Ruymbeke et Le Loire, le délit de blanchiment de fraude fiscale est apparu dans l’espace médiatique.

Tout le monde veut apprendre à le connaître : qui est-il ? Plus exactement, qui sont-ils ?

Le blanchiment est une infraction de conséquence, en ce qu’il ne peut exister que si une première infraction a été commise. Ce premier délit est même la raison d’être du second : sans crime ou délit préalables, nul n’est besoin d’en blanchir le produit.

Avant de s’intéresser au concept de blanchiment, il est donc nécessaire de savoir s’il y a un premier délit, en l’espèce celui de fraude fiscale.

Cette infraction est prévue et réprimée par l’article 1741 du Code général des impôts :

« Sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification, quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu’il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt, soit qu’il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d’autres manœuvres au recouvrement de l’impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d’une amende de 500 000 € et d’un emprisonnement de cinq ans. Lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen soit d’achats ou de ventes sans facture, soit de factures ne se rapportant pas à des opérations réelles, ou qu’ils ont eu pour objet d’obtenir de l’Etat des remboursements injustifiés, leur auteur est passible d’une amende de 750 000 € et d’un emprisonnement de cinq ans. Lorsque les faits mentionnés à la première phrase ont été réalisés ou facilités au moyen soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis dans un Etat ou un territoire qui n’a pas conclu avec la France, depuis au moins cinq ans au moment des faits, une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale française, soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis dans l’un de ces Etats ou territoires, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 1 000 000 € d’amende.

Toutefois, cette disposition n’est applicable, en cas de dissimulation, que si celle-ci excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 €.

Toute personne condamnée en application des dispositions du présent article peut être privée des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l’article 131-26 du code pénal.

La juridiction peut, en outre, ordonner l’affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du code pénal.

Les poursuites sont engagées dans les conditions prévues aux articles L. 229 à L. 231 du livre des procédures fiscales ».

Le premier paragraphe est le plus important pour comprendre l’infraction :

  1. 1.       La première phrase définit ce qu’est la fraude fiscale : le délit est constitué lorsque la personne cherche à se soustraire au paiement de l’impôt (la seule tentative suffit), notamment en dissimulant tout ou partie des sommes détenues.

Cette infraction est punie de 5 ans d’emprisonnement et de 500 000 € d’amende (ces peines sont des plafonds que le juge pourra réduire en vertu de son pouvoir de personnalisation des peines).

  1. 2.      La deuxième phrase crée une circonstance aggravante du délit, lorsque la fraude est commise, notamment, par le biais de fausses factures. La peine d’amende est alors portée à 750 000 €, la peine de prison restant inchangée.
  1. 3.      Enfin, la troisième phrase crée une seconde circonstance aggravante, indépendante de la première, mais plus sévèrement punie puisque les peines passent alors à 7 ans de prison et 1 000 000 € d’amende.

Cette circonstance consiste en la réalisation de la fraude dans un Etat ou un territoire n’ayant pas signé de convention d’assistance fiscale avec la France : en d’autres termes, il s’agit ici de « sortir » l’argent du territoire pour le placer dans un pays paradisiaque, au moins fiscalement.

Cette circonstance est également réalisée quand la fraude est opérée par le biais de prête-noms ou de sociétés écrans visant à créer un rideau de fumée entre le fraudeur et ses biens.

Le délit doit être poursuivi « jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au cours de laquelle l’infraction a été commise » (article L 230 du Livre des procédures fiscales), sous peine d’expiration du délai de prescription et de procédures pénales impossibles[1].

Si l’on prend l’exemple d’une affaire impliquant un ancien ministre du budget, une « évasion fiscale » réalisée au début des années 2000 au moyen d’un compte en Suisse et dont la justice n’aurait eu connaissance qu’en 2012 ne pourrait donc plus, en principe, être poursuivie, le délai de prescription de l’action publique étant expiré depuis longtemps.

Mais ici intervient le délit de blanchiment, qui, à l’instar du recel, permet de rattraper les auteurs d’infraction passés entre les mailles de la répression en raison du temps qui passe.

Le délit de blanchiment est défini par l’article 324-1 du Code pénal :

« Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.

Constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit.

Le blanchiment est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende »[2].

Il s’agit ici de passer « par la lessiveuse » le produit d’un crime ou d’un délit, afin de réintroduire celui-ci dans le circuit économique légal

Le délit implique donc l’accomplissement d’un nouvel acte positif, différent de ceux réalisés dans le cadre de la première infraction, et dont le but est d’en blanchir le produit (direct ou indirect) :

  • Soit en en facilitant, par tout moyen, la justification mensongère,

Ce sera notamment le cas en injectant de l’argent liquide dans certaines activités commerciales (boites de nuit, restaurants, casinos, sociétés d’import-export…).

Cela pourra également se traduire par l’établissement de fausses factures, de fausses reconnaissances de dettes, de jeux d’écritures fictifs sur comptes, création de sociétés fictives, fiduciaires…

  • Soit en participant activement à « une opération de placement, de dissimulation ou de conversion » de ce produit.

Cette participation peut se limiter à la formulation d’un conseil (en particulier par un juriste) mais peut également prendre la forme d’un concours actif à la mise en place de l’opération elle-même puis dans sa réalisation, habituelle ou ponctuelle.

Ces actes positifs doivent évidemment avoir été accomplis intentionnellement, c’est-à-dire en connaissance de cause de l’origine frauduleuse du produit.

Ainsi, seule la caractérisation de la fraude fiscale (infraction première) est utile à la l’établissement du délit de blanchiment, peu important que les premiers auteurs aient été effectivement condamnés. Si les éléments constitutifs de la fraude originelle sont établis par les juges, il leur est possible de condamner pour blanchiment, à condition, bien sûr, de démontrer l’existence des éléments propres à ce second délit.

Devant ce « verrou » judiciaire, le délinquant (non averti) est tenté de s’offusquer : « on ne peut pas être poursuivi, en même temps, en tant que fraudeur et en tant que blanchisseur ! »

Si ! Répond la Chambre criminelle de la Cour de cassation, considérant que le délit de blanchiment « est applicable à l’auteur du blanchiment du produit d’une infraction qu’il a lui-même commise »[3].

Autre parade (espérée) : « l’article L 228 du Livre des procédures fiscales (LPF) interdit que des poursuites soient engagées pour fraude fiscale sans avis conforme de la Commission des infractions fiscales ! »

Certes, mais cela est indifférent, répond à nouveau la Chambre criminelle, puisque la poursuite « du délit de blanchiment [de fraude fiscale], infraction générale, distincte et autonome, n’est pas soumise aux dispositions de l’art. L. 228 LPF »[4].

Pour démontrer l’existence du délit de blanchiment pour lequel Jérôme Cahuzac est mis en examen, les juges devront donc caractériser (au moins) un acte intentionnel et intrinsèque au délit de blanchiment.

Il est vrai que les informations déjà recueillies et les aveux, spontanés et, semble-t-il, circonstanciés, pourraient aider dans l’établissement du délit de blanchiment de fraude fiscale.

Que reste-t-il à plaider pour sa Défense ? L’avenir et ses avocats le diront.

 


[1] Le délai de prescription est suspendu pour un maximum de 6 mois « entre la date de saisine de la commission des infractions fiscales et la date à laquelle cette commission émet son avis », toujours selon l’article L 230.

[2] Le blanchiment est puni de 10 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende quand il est commis « de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle » ou « en bande organisée » (article 324-2 du Code pénal).

[3] Crim. 14 janvier 2004, n° 03-81.165 – Bulletin criminel 2004 n° 12 p. 39. Voir également Crim. 20 février 2008, n° 07-82.977.

[4] Crim. 20 février 2008, n° 07-82.977 – Bulletin criminel 2008 n° 43 p. 160.

 

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  • Date de publication: 3 mai 2013, 1:52
  • Mis à jour le: 3 mai 2013, 4:10
  • Rubrique: Abécédaire

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