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E comme Expertise

Par   /   27 mars 2013  /  


Par Ambroise Colombani, Avocat à la Cour -

« L’inspection judiciaire ne suffit pas dans tous les cas pour constater le corps du délit ; cette constatation exige souvent des connaissances spéciales qui manquent au juge et qu’il supplée en appelant le concours des hommes qui les possèdent. Ces hommes lorsqu’ils sont consultés par la justice, prennent le nom d’expert ».

C’est à partir de cet aveu rassurant, selon lequel le juge ne peut tout savoir sur tout, que la Cour de cassation évoque, dans un style qui pourrait rappeler le pitch d’un film policier hollywoodien, celui qui viendra alors éclairer la justice: l’expert.

Et comme le juge ne sait finalement pas grand chose, il y a des experts en tout. En balistique, en chimie, en qualité de cocaïne, en mécanique, en psychologie, en psychiatrie, en personnalité… En langue des chiens aussi. Car, pour certains magistrats, les animaux ont des choses à nous apprendre. Mais pour ça, il faut savoir les comprendre. Ainsi, dans un dossier de meurtre, il avait été établi que le chien de la victime, un berger allemand, avait assisté au drame. Le magistrat instructeur, probablement non polyglotte, décida de confronter l’animal à deux suspects, en présence d’un expert en science du comportement canin. La bête aboya deux fois à la vue du premier suspect, ce qu’elle fit également en présence du second suspect. Lorsque le juge voulu caresser le chien, il aboya trois fois. L’expert en conclut que l’animal n’avait rien à dire d’intéressant. Mais que ce serait-il passé si le chien avait hurlé à la mort en apercevant l’une des personnes soumises à son flairs. Comment l’expert aurait interprété cette réaction et qu’aurait fait le juge des conclusions de l’expertise si celles-ci avaient laissé entendre que le chien avait reconnu le coupable.

S’il s’agit là d’un cas extrême, bien que réel, il évoque les risques d’une expertise en matière pénale.

Le premier de ces risques porte sur la question qui est soumise à l’expert. S’il s’agit de définir la qualité d’un produit stupéfiant, il suffira à un chimiste lambda de disposer d’un peu de matériel et d’analyser avec celui-ci le taux de produit actif contenu dans  un échantillon. En revanche, si doit être décrit le taux de crédibilité d’une victime, ou la personnalité d’un mis en examen, l’épreuve se corse puisque les mathématiques laissent la place aux sciences humaines et aux interprétations subjectives que ces dernières impliquent.

Or, pour qu’une interprétation soit de qualité, encore faut-il que l’interprète le soit. Il s’agit là du deuxième risque de l’expertise en matière pénale : la qualité du sachant. La justice ayant des moyens financiers limités, elle n’attire pas nécessairement les meilleurs. Si certains experts sont de grande qualité, d’autres s’inscrivent sur les listes, et pire, y restent, parce qu’ils n’ont plus de clientèle ou souhaitent ajouter une ligne sur leur papier en-tête. Les raisons qui poussent certains à travailler pour la justice ont ainsi pour conséquences qu’en 5 minutes d’entretien, entre deux portes, un expert psy s’autorise à émettre une opinion, sans nuance, sur les traits de caractères d’un mis en examen. Un toxicomane, un présumé violeur et/ou un supposé escroc se verront ainsi caractérisés par les mêmes formules types décrivant un manque de maturité et une faible résistance aux frustrations, opinion qui motivera le Juge à maintenir en détention ces derniers, présumés innocents, probablement pour qu’ils murissent dans leur cellule et apprennent à se priver.

Vient alors le troisième risque d’une expertise pénale : ce que le juge va faire des conclusions qui lui sont servies. En effet, si l’expert est là pour éclairer le magistrat qui l’a désigné, ce dernier doit conserver son esprit critique par rapport au travail remis. D’autant plus que le mis en examen, ou la partie civile, n’ont, en principe, pas la possibilité d’intervenir en cours d’expertise, contrairement aux droits dont disposent les parties, dans le cadre une procédure civile. Par conséquent, sans un magistrat doté d’un minimum de perspicacité, un expert incompétent trouvera sa tribune, le temps qu’une contre-expertise puisse être réalisée, à supposer qu’elle le soit, et en espérant que le nouvel expert soit moins mauvais que le précédent, ce qui peut tenir du miracle dans certaines matières.

En d’autres termes, tout le monde est d’accord pour considérer que l’on ne peut se passer d’expert. Mais si l’aléa judiciaire est une donnée à prendre en compte lorsqu’on se lance dans une aventure judiciaire civile ou commerciale, cet aléa est inacceptable en matière pénale. Une instruction ne peut se jouer aux dés, même sur une petite partie. L’expert doit éclairer et non pas assombrir. Pour s’en assurer, il doit être rémunéré convenablement pour mettre à disposition de la justice des compétences contrôlées régulièrement et convenablement. Il doit intervenir pour répondre à des questions claires, dans des domaines qu’il connaît. Le mis en examen ou la partie civile doivent pouvoir systématiquement donner leur avis en cours d’expertise. Quant au magistrat, il doit contrôler efficacement le rapport du sachant. C’est à ce prix que les hommes consultés par la justice mériteront le nom d’expert.

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  • Date de publication: 27 mars 2013, 12:12
  • Mis à jour le: 27 mars 2013, 12:13
  • Rubrique: Abécédaire
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