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I comme Isolement carcéral

Par   /   24 mai 2013  /  


Par Eddy Arneton - Avocat à la Cour

Les détenus soumis à l’isolement carcéral voient leurs conditions de détention particulièrement aggravées : l’isolement est une prison dans la prison. Vécue très difficilement par les détenus, cette mesure fait l’objet d’une controverse encore trop timide.

La mesure d’isolement carcéral définie par les textes

La décision d’isolement carcéral (à distinguer de la cellule disciplinaire, le « mitard ») vise à protéger la personne concernée par la mesure ou à assurer la sécurité des autres détenus ou du personnel pénitentiaire. Elle relève de l’autorité administrative, à la demande du détenu ou d’office. Sa durée ne peut excéder trois mois. Cette mesure ne peut être renouvelée pour la même durée qu’après un débat contradictoire au cours duquel la personne concernée, qui peut être assistée de son avocat, présente ses observations orales ou écrites. L’isolement ne peut être prolongé au-delà d’un an qu’après avis de l’autorité judiciaire (article 726-1 du code de procédure pénale).

Théoriquement, trois critères motivent la mesure d’isolement : la personnalité de la personne détenue, sa dangerosité particulière, et son état de santé. L’examen in concreto des mesures d’isolement d’office laisse apparaître une réalité bien différente.

L’isolement carcéral

On applique cette mesure hâtivement aux « grands bandits », aux détenus jugés dangereux et aux fameux détenus particulièrement surveillés.

Le prisonnier n’a aucun contact avec les autres détenus. Il peut néanmoins recevoir la visite de son avocat, bien évidemment, et de certains proches si ceux-ci ont obtenu un permis de visite, ce qui n’est pas toujours chose aisée.

Mise à l’écart de la collectivité carcérale, exclusion sociale, activités sportives, culturelles, religieuses quasi inexistantes, enfermement en cellule de 20 heures à 22 heures par jour, fouilles corporelles intégrales systématiques, l’isolement est incontestablement une atteinte à la dignité humaine.

Les ravages psychiques et physiques de l’isolement à long terme sont connus. Ils ont été décrits par des psychiatres et dénoncés par le Comité européen de prévention contre la torture (CPT).

Le CPT affirme que le principe de proportionnalité exige que le recours à l’isolement intervienne à titre de sanction disciplinaire et seulement dans des cas exceptionnels, en tout dernier recours et pour une durée maximale de quatorze jours pour une infraction donnée (CPT/Inf/E (2002) 1 – Rev.2011 Français).

Cette position mesurée n’est pas appliquée par la France alors même que le personnel soignant qualifie l’isolement de « torture blanche ».

Parce que l’isolement carcéral va bien au-delà de la simple privation de la liberté d’aller et venir, les juridictions nationales et européennes ont dû en définir les contours.

L’isolement carcéral sous le contrôle des juridictions administratives

Les recours ouverts aux détenus soumis à la décision d’isolement administratif ne voient le jour qu’en 2003 grâce à un  arrêt du Conseil d’Etat qui reconnaît le droit de contester une mesure d’isolement devant les juridictions administratives ( CE 4° et 6° s-s-r, 30 juillet 2003, n°252712). Auparavant, cette voie était fermée aux détenus, motif pris qu’il s’agissait d’une mesure d’ordre intérieur.

Dans un arrêt du 17 décembre 2008 (CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n°293786), le Conseil réaffirme sa position en estimant que les décisions de placement d’un détenu à l’isolement peuvent être contestées devant le juge administratif et ne peuvent intervenir qu’en dernier recours, lorsque aucune autre solution ne permet d’assurer la sécurité de l’établissement pénitentiaire ou des personnes.

Précisons qu’on ne se soucie pas de la présomption d’innocence lorsque l’isolement est décidé sur des chefs de mise en examen et sur des prétendus risques d’évasion. Et, la notion de sécurité de l’établissement pénitentiaire ou des personnes est si vague qu’elle ne prévient pas les décisions de placement à l’isolement abusives.

L’isolement carcéral sous le contrôle du juge européen

Le juge européen a pu à diverses reprises, apprécier la motivation d’une mesure d’isolement à l’aune des critères de nécessité et de proportionnalité.

Ainsi, le 09 juillet 2009, la Cour européenne des droits de l’Homme (Khider c/ France, req. N° 39364/05) a-t-elle condamné la France pour violation de l’article 3 (interdiction des traitement inhumains ou dégradants) en raison notamment d’un isolement de plusieurs années et l’insuffisance des motifs toujours fondés sur des risques d’évasion.

Le 09 octobre 2012, la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu une décision particulièrement instructive. L’affaire portait sur le placement à l’isolement d’un détenu pour protéger son intégrité physique en raison de son orientation sexuelle. La CEDH sanctionne la Turquie pour violation de l’article 3. Elle juge en effet que « les conditions de détention du requérant  en cellule d’isolement ont été de nature à lui causer des souffrances aussi bien mentales que physiques ainsi qu’un sentiment de profonde atteinte à sa dignité humaine » (§51) et que la mesure était discriminatoire. Ainsi même en cas de risques encourus par le détenu en raison de son orientation sexuelle, la CEDH n’admet pas que l’on puisse décider d’un placement à l’isolement sous couvert de la protection de cette personne, étant précisé qu’en l’espèce il n’est pas contestable que les conditions de l’isolement étaient particulièrement indignes et scandaleuses.

Le juge strasbourgeois ajoute que la « procédure entièrement administrative » ainsi que le « contrôle juridictionnel superficiel » auxquels ont été soumis la mesure qui fait grief constituent une circonstance « aggravante » du « traitement inhumain et dégradant » invoqué (CEDH, 2e Sect. 9 octobre 2012, X.c.Turquie, Req. n°24626/09).

La juge européen ne remet pas encore en cause le principe de l’isolement carcéral, il se contente, pour l’heure, de rendre cet isolement moins indigne.

Pourtant, c’est bien d’un traitement inhumain et dégradant dont il s’agit car il implique pour la personne concernée une aggravation de ses conditions de détention due notamment à son exclusion de la collectivité carcérale et comporte des risques connus de troubles d’ordre physique ou/et psychique. Tel ne saurait être pour certains détenus jugés dangereux le rôle dévolu à la prison dont on nous dit qu’elle a pour mission première la réinsertion.

Supprimer cette punition de l’univers carcéral est obligatoire : il s’agirait de refuser la torture légale, ce qui serait un moindre mal pour une société dite démocratique.

Eddy Arneton
Avocat à la Cour
Ancien Secrétaire de la Conférence

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