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S comme Silence

Par   /   1 mars 2013  /  


Par David Marais, Avocat à la Cour -

Les séries et films policiers sont sans aucun doute l’un des genres préférés des Français. Le téléspectateur regarde le suspect trembler face à un policier sûr de lui et à l’air déterminé. Le dialogue fuse : « Nous savons que tu mens » ; « Nous avons des preuves » ; « Tes camarades t’ont balancé »…  Nouvelle poussée de fièvre du mis en cause. Le téléspectateur, quant à lui, est en haleine : quelles sont ces preuves ? qui a parlé ? qu’ont-ils dit ? que savent réellement les policiers ? est-ce du bluff ? quand ces preuves vont-elles tomber ? Seul, derrière son petit sourire, le policier sait ce qu’il va advenir….

Fiction ? Non. Malheureusement, telle est la réalité et la position de l’avocat en garde à vue : celle du figurant, ou pire, du spectateur impuissant.

Alors qu’un dossier médiatique[1] a donné à un confrère qu’il est tout autant, l’occasion d’affirmer haut et fort le droit au silence pendant la garde à vue, il est sans doute temps d’aller plus loin.

Mais avant d’aller plus loin, revenons en arrière.

La loi 2011-392 du 14 avril 2011 a réinstauré le droit au silence qui avait été énoncé par la loi 2000-516 du 15 juin 2000 puis supprimé par la loi 2003-239 du 18 mars 2003.

Ce droit est, depuis la réforme de la garde à vue de 2011[2], l’un des droits qui doivent être notifiés au gardé à vue dès son placement sous ce régime (art. 63-1 CPP).

Cependant, en pratique son application se révèle problématique.

Ainsi, il arrive souvent qu’un policier explique au mis en cause que, s’il parle plutôt que de rester silencieux, la garde à vue se terminera, bien évidemment, plus vite. L’argumentation est souvent la même, d’ailleurs, pour obtenir la renonciation pure et simple à la présence d’un avocat elle-même.

Et lorsque ce ne sont pas les policiers, ce sont les clients qui – malgré nos appels à la prudence – sont toujours très pressés de « s’expliquer » pour « prouver leur innocence », volonté que l’avocat ne peut tempérer, n’ayant aucun élément concret de contradiction.

Car, et c’est bien là le coeur du problème, l’avocat n’a accès à aucune pièce du dossier, hors les quelques actes – peu utiles sur le fond – prévus par la loi[3]. Il ne sait donc rien des éléments en possession des policiers.

Il est ainsi, depuis cette réforme de la garde à vue, bien présent aux côtés de son client, mais dans la désagréable posture de celui qui écoute le mis en cause parler sans avoir pu le conseiller sur son discours (hors les sages paroles de prudence habituelles, dont on connaît l’impact) et qui voit s’abattre, carte après carte – ADN, plainte de la victime, procès-verbaux des co-mis en cause, téléphonie… –, le jeu des policiers sans pouvoir ni anticiper, ni agir, ni contester, ni discuter, ni s’opposer à ces « révélations »,  et encore moins pouvoir  jauger de la réalité de l’existence ou de la validité de ces preuves.

Partant d’une première déclaration où le client annonce fièrement son innocence, audition après audition, révélation après révélation, preuve après preuve,  la garde à vue tourne alors souvent en une longue descente aux enfers emplie de grands moments de solitude.

L’avocat est ainsi, faute d’élément et de pouvoir, paradoxalement condamné au silence et à l’impuissance, à l’instant même où son client refuse, ou est convaincu de refuser, d’exercer son droit de se taire et de s’auto-incriminer.

Dès lors à quoi servons-nous ?  Si ce n’est à faire de nous les alibis d’une régularité de la procédure, assurée  par notre seule présence vidée de toute substance ?

Pire encore sont les réactions des policiers lorsqu’un avocat consciencieux (il en existe), ose prétendre faire son travail et intervenir pendant l’audition[4] pour tenter de sauver la situation, conseiller son client, lui intimer l’ordre de se taire, ou s’interposer lorsque une question ou un comportement dépasse les limites de l’acceptable et de la correction. Alors sermons, diatribes colériques, moqueries sur la profession à la limite de l’injure (nos honoraires intéressent beaucoup les policiers), menaces d’expulsion[5], pressions, voire intimidations physiques avec force démonstration de puissance et jeux de regards, sont récurrents.

Dans cette situation, quotidienne en pratique, le droit au silence du client n’existe plus et – étrange renversement du droit – une obligation de se taire est imposée à son conseil.

Ainsi, la loi telle qu’elle existe aujourd’hui  n’a qu’un résultat, si ce n’est qu’un but : que le client parle, que son conseil se taise.

Il est temps que cela change : que le conseil ait désormais la possibilité, par l’accès au dossier complet et le droit de s’exprimer pleinement, de parler ; que son client ait réellement la possibilité et le droit de se taire ; et que la réforme de la garde à vue soit enfin à la hauteur des « droits de la défense » tels qu’ils sont – heureusement – vus et développés par la jurisprudence de la CEDH

Comment faire ? Il nous semble que le seul moyen efficace qui nous est ouvert pour faire changer la loi consiste à…. faire la grève de la parole (de nos clients donc…), à imposer le droit au silence systématiquement (sauf cas exceptionnel) , faisant ainsi volontairement des gardes à vue des actes inutiles, et ce, tant qu’il ne sera pas prévu par la loi que l’avocat ait accès à l’entier dossier déjà constitué dès le début de la mesure et le droit de s’exprimer librement.

 

[1] L’affaire des handballeurs Montpelliérains .

[2] Réforme que nous jugions déjà à l’époque « insatisfaisante ».

[3] Art. 63-4-1CPP : « A sa demande, l’avocat peut consulter le procès-verbal établi en application du dernier alinéa de l’article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi en application de l’article 63-3, ainsi que les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste. Il ne peut en demander ou en réaliser une copie. Il peut toutefois prendre des notes ».

[4]L’article 63-4-3 al.1 CPP ne nous donnant la parole qu’à « l’issue de chaque audition ou confrontation à laquelle il assiste »  et seulement pour «  poser des questions », auxquelles l’OPJ peut « s’opposer ». Mention de ce refus est portée au procès-verbal.

[5] L’article 63-4-3 al.1 CPP prévoyant que l’OPJ peut demander au Bâtonnier la désignation d’un autre avocat « en cas de difficulté ».

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