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La Corse, terre de violence?

Par   /   18 février 2013  /  


La Corse, terre de violence ?

« La violence et l’affairisme ont atteint en effet dans l’île, un niveau qui est sans commune mesure avec les autres régions françaises» (à 0’58 sur la vidéo).

Jean-Marc Ayrault, le 22 octobre 2012.

La Corse. Ses splendeurs, son folklore, son identité qui enchantent le voyageur épris de nature et d’authenticité.  Son clanisme, ses règlements de compte et son affairisme, qui alimentent le roman du crime et les fantasmes populaires. Cela vaut également des excès de lyrisme de la part de nos dirigeants, prompt à dramatiser des faits qui n’en n’ont pas besoin – leur seule mise en perspective étant suffisamment éloquente. « Chroniques mortuaires » pour Valls, après l’assassinat d’Antoine Sollacaro. Et approximation de langage pour le premier ministre.

Une violence mafieuse avérée

Si l’on ne peut que convenir d’un niveau « d’affairisme » singulier sur l’île, rappelons que cette « performance » ne vaut que si on la ramène à sa population, soit 305 674 habitants au 1er janvier 2012. Les flux d’argent engendrés par les divers trafics dans les zones urbaines et contrôlés par les gangs locaux et les mafias internationales, sont, en valeur absolue, sans commune mesure.

Mais l’affairisme en Corse apparaît comme une tradition, une déclinaison de l’esprit clanique. Le bourbier qu’il représente procède de la défiance de la population envers un État que beaucoup ne portent pas dans leur cœur – et que tous placent après leur terre.

Le mot « violence » prononcé par le premier ministre soulève par contre une docte et sereine objection. Avant laquelle il convient de tenir un propos liminaire qui remettra l’objection dans son contexte.

La bonne foi de Jean-Marc Ayrault

Lorsque le Premier ministre s’exprime, Me Antoine Sollacaro a été abattu il y a une semaine. L’émotion suscitée par la mort d’une telle figure a tout de suite irradié jusqu’au sommet de l’État, incitant le gouvernement à prendre des mesures fortes et immédiates. Lors de cette conférence, M. Ayrault décline un plan d’action en dix points visant à combattre le milieu corse en adaptant l’action aux spécificités du problème. Il n’est pas reproché ici au Premier Ministre de divaguer sur une problématique qu’il n’a pas saisie. Lorsqu’il évoque la « violence », il vise celle engendrée par les règlements de comptes, nombreux en 2012. En aucune manière il n’entend le terme « violence » dans son acception générale, telle que l’on va l’expliquer. Mais les mots ont un sens qu’il est important de respecter, et la Corse, qui subit une violence bien spécifique et par trop insupportable, n’a pas besoin d’être flanquée de tous les maux de la société.

Ce que l’on entend par le terme « violence » 

La violence est l’utilisation de force physique ou psychologique pour contraindre, dominer, causer des dommages ou la mort. C’est un sentiment ressenti, un sentiment d’insécurité, un sentiment de peur. Mais c’est aussi – et surtout- un état de faits qui regroupent un certains nombres d’atteintes à l’intégrité physique recensés par les services de police et de gendarmerie. On les regroupe en « violences non crapuleuses », « violences crapuleuses » et « violences sexuelles ». C’est sur ce fondement que l’État évalue les violences effectives dont ont été victimes un certain nombre de personnes, pendant une période donnée.

La réalité de la violence en Corse

Prenons les chiffres de la Police et de la gendarmerie, publiés à la documentation française en 2012, et établissant la criminalité et la délinquance constatée en 2011. Ces chiffres sont fiables, et reconnus comme tel – et plus lisibles que les chiffres de l’ONDRP récemment publié, dont la méthode de calcul a été renouvelée. Il suffit d’examiner le tableau qui liste les faits d’atteinte à l’intégrité physique par région et par département et de mirer la colonne du taux de ces faits pour 1 000 habitants. La Corse est à un taux de 5,51 faits pour 1 000 habitants, quand la moyenne nationale est à 7,49. Ce qui la place au 11ème  rang sur 22 au niveau régional, 56ème et 57ème pour les deux départements sur un total de 112 (en comptant les départements et territoires d’outre mer). En dessous de la moyenne, en dessous de la médiane, il est statistiquement indiscutable que la Corse ne présente pas un niveau particulièrement dramatique en violence globale. Les régions île de France et Paca affichent sans surprise, du fait de grands ensembles urbains fortement paupérisés, les pires taux de France.

Cette différence importante entre la dramatique importance des règlements de comptes, et la très faible prégnance des faits de violence plus banals est due au contexte sociétal. La violence ne se manifeste pas de la même manière dans les cités marseillaises ou franciliennes que dans un environnement rural, où les gens se connaissent et vivent ensemble dans de petits villages.
L’exemple le plus frappant est le taux de violences sexuelles (viols, agressions et harcèlement sexuels). Il est d’environ 2,5 faits pour 10 000 habitants, soit le taux le plus bas de France (si l’on excepte St Pierre Et Miquelon, Saint-Barthélemy et Wallis et Futuna). Dans toutes les autres régions, mêmes rurales, ce taux est bien plus élevé. De cela l’on peut déduire que la Corse est un lieu où l’on risque moins de subir ce type de violences, qui ne sont pas moins odieuses que les autres, même que les règlements de comptes. Le gouvernement en convient, qui affiche avec raison sa détermination à lutter contre ce mal endémique. En Corse, il y a moins de viols que d’homicides par balle, ce qui est surtout dû au nombre très réduit de viols.

Lorsque Jean-Marc Ayrault parle de violence « sans commune mesure avec les autres régions françaises », il fait une économie de mots qui altère le jugement des français sur la Corse. Il entretient l’image d’un territoire chaotique où quiconque traverse une rue peut être la cible d’un tueur professionnel. L’île est certes gangrénée par l’affairisme – et lutter contre cela doit être une priorité – mais demeure calme et rassurante dans la vie quotidienne de ses habitants et de ses visiteurs.  C’est un constat qu’il est judicieux de rappeler.

Julien Mucchielli

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  • Date de publication: 18 février 2013, 1:01
  • Mis à jour le: 18 février 2013, 1:23
  • Rubrique: Objections
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