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P comme Partie civile

Par   /   12 juin 2013  /  


Par Benjamin Gourvez, Doctorant contractuel chargé d’enseignement en droit pénal des affaires, Université Paris Dauphine -

Curieuse expression, de prime abord, quand on navigue dans les eaux du droit pénal. Civil et pénal ne sont-elles pas deux branches différentes du droit, la première s’intéressant aux rapports nés entre deux personnes privées en dehors de toute infraction commise, alors que, justement, la seconde ne s’intéresserait qu’aux seules situations impliquant la commission d’une infraction réprimée par la loi ? Pourquoi diable alors parler de partie « civile » dans une matière qui, par principe, s’oppose au civil ?

QUID ?

Pour bien comprendre les raisons de cette terminologie, il convient d’arpenter un instant la chaîne pénale, processus menant de la commission d’une infraction à la condamnation de son auteur par un tribunal.

Au commencement se trouvait un fait, troublant manifestement l’ordre public ou portant atteinte à une personne, selon une appréciation jusque-là subjective. Que ce fait ait été directement constaté par les services de police ou de gendarmerie, ou relaté à ces mêmes services par la personne l’ayant subi, ce fait sera porté in fine à la connaissance d’un procureur de la République, magistrat membre du Ministère public (ou parquet) chargé de représenter les intérêts de la société devant les juridictions. Disposant d’un certain nombre de prérogatives lui permettant notamment de diriger des enquêtes, il va devoir se prononcer sur la qualification que doit revêtir ce fait : en d’autres termes, s’agit-il ou non d’une infraction prévue et réprimée par la loi pénale ? Dès lors, il jouit de ce qu’on appelle « l’opportunité des poursuites », du choix ou non de donner une suite judiciaire au fait qui lui a été relaté. S’il décide d’engager des poursuites contre l’auteur suspecté de ce fait constituant selon lui une infraction pénale, il mettra alors en mouvement l’action dite « publique » aux fins de faire reconnaître cette personne coupable des faits qui lui sont reprochés et de la condamner à une peine en réparation du préjudice causé à l’ordre social.

Néanmoins, à côté du dommage subi par la société du fait de la violation d’un certain nombre de valeurs qu’elle défend au travers des lois édictées en son nom, se trouvent souvent une ou plusieurs personnes ayant également souffert des conséquences de l’infraction, qualifiées de « victimes ». Parce qu’elles aussi ont du supporter divers dommages du fait de l’infraction, elles se trouvent alors légitimes à en demander la réparation par l’intermédiaire d’une action dite « civile ». C’est en exerçant ce droit d’action né du préjudice subi que ces personnes deviendront alors des parties dites « civiles » au procès pénal. Le terme « civil » s’explique donc par la nature de la réparation que peuvent demander les victimes pour le dommage personnellement subi, par opposition à la nature de la « réparation » dans le cadre de l’action publique qui relève de la sanction pénale.

QUI ?

Limiter la définition de partie civile aux seules personnes ayant souffert personnellement d’un dommage directement causé par une infraction et décidant d’en demander réparation à son auteur devant les tribunaux serait réducteur et lacunaire.

Il faut d’abord entendre la notion de dommage subi directement de façon large et considérer tant les dommages de nature physique, économique ou matériel que le préjudice esthétique, moral ou d’agrément.

En effet, à l’inverse de l’action publique qui est exercée par le Ministère public mais qui en elle même ne lui appartient pas patrimonialement parlant, l’action civile est un droit qui naît dans le patrimoine de la personne ayant « personnellement souffert du dommage directement causé par une infraction » (Code de procédure pénale, art. 2, al. 1). Ce droit a la nature d’une créance c’est-à-dire que la personne qui en est détentrice peut exiger à l’encontre de son débiteur, en l’occurrence l’auteur de l’infraction lui ayant causé un préjudice, de réparer celui-ci. Dès lors, à l’inverse du statut de victime qui est une condition subie, l’action civile, et donc l’acquisition du statut de partie civile, constitue un choix, une option ouverte à la personne qui en est titulaire. Et comme toute créance, celle-ci peut être transmise. Ainsi, sans s’éterniser sur les détails, aussi bien les héritiers (outre leur action civile personnelle pour préjudice moral), que les créanciers, cessionnaires ou encore subrogés (classiquement, les organismes d’assurance ou de solidarité) pourraient être amenés à exercer l’action civile initialement née au profit de la victime directement impactée par l’infraction (à la seule différence près que, sauf exception, seules les juridictions civiles leur sont ouvertes).

De même, il est envisageable qu’une personne morale se porte partie civile lorsqu’elle est victime d’une infraction. Une distinction doit être néanmoins opérée. Lorsqu’elle est touchée personnellement et individuellement, la personne morale, par l’intermédiaire de son représentant, peut parfaitement se constituer partie civile.

Lorsqu’il s’agit d’un intérêt collectif, la réponse varie selon la qualité de la personne morale.

Pour les personnes morales de droit public, sera exigé un préjudice spécifique à la personne morale et donc distinct, par exemple, du préjudice subi par ses membres.

Pour ce qui est des associations, les articles 2-1 et suivants du Code de procédure pénale définissent un certain nombre de structures ayant un intérêt à exercer une action civile dès lors que leurs statuts indiquent expressément que l’objet de l’association est la défense d’un des intérêts visés à cet article. En dehors de cette liste, il est peu probable qu’une association puisse justifier d’un intérêt à agir.

Enfin, le législateur français est plus clément à l’égard des syndicats puisqu’il admet qu’ils peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile dès lors que l’infraction en cause porte préjudice à l’ensemble de la profession.

POURQUOI ET COMMENT ?

Comme indiqué précédemment, la finalité première de l’action civile est, pour la partie civile, l’obtention de la réparation du préjudice subi par l’octroi de dommages-intérêts ou l’injonction de restitutions.

Ces 20 dernières années, le droit des victimes a considérablement évolué et il est maintenant fait obligation à un certain nombre d’acteurs de la chaîne pénale (officiers de police judiciaire, juge d’instruction…) d’informer la victime d’une infraction de la possibilité de se constituer partie civile et des modalités à suivre le cas échéant.

Pour ce faire, une option est ouverte à la personne désirant se porter partie civile entre les juridictions civiles ou pénales. En effet, elle peut décider de soumettre sa demande en réparation au juge civil, celui-ci devant néanmoins se soumettre, le cas échéant, à la solution rendue par le juge pénal (avec une certaine marge d’appréciation) ou attendre celle-ci si l’action publique a déjà été mise en mouvement. Dans ce cas, son choix sera irrévocable et elle ne pourra pas par la suite décider de se constituer partie civile devant le juge répressif.

L’action civile peut également être lancée devant les juridictions pénales, accessoirement à l’action publique déjà engagée. On parle alors de constitution de partie civile par intervention, soit en mentionnant oralement cette volonté, soit en l’indiquant dans le cadre de conclusions. La victime peut ainsi se constituer partie civile dès la mise en mouvement de l’action publique et jusqu’à la présentation des réquisitions du Ministère public sur le fond au cours de l’audience de jugement. Cela peut être fait directement par la personne se constituant partie civile ou par l’intermédiaire de son avocat.

Outre la volonté de voir son préjudice réparé, le fait de se constituer partie civile devant le juge répressif a très souvent comme visée principale d’être associé à part entière à la procédure pénale mise en œuvre.

Enfin, doit être considérée l’hypothèse dans laquelle le procureur de la République n’a pas mis en mouvement l’action publique, et ce malgré une plainte initiale de la victime. En effet, le procureur ayant l’opportunité des poursuites, il peut très bien décider de ne pas donner suite à une plainte et ainsi, soit rendre une décision de classement sans suite, soit tout simplement ne pas répondre à la plainte dans un délai de 3 mois. S’ouvre alors pour la victime la possibilité de forcer la mise en mouvement de l’action publique pour voir ses intérêts défendus. Deux possibilités s’ouvrent alors à la victime : soit saisir directement une formation de jugement par l’intermédiaire d’une citation directe, soit « saisir » un juge d’instruction par l’intermédiaire d’une plainte accompagnée d’une constitution de partie civile. Cette plainte est directement adressée au juge d’instruction du tribunal de grande instance compétent qui transmet alors la plainte au parquet afin de recueillir son avis. Sur la base de celui-ci, le juge d’instruction peut décider ou non d’ouvrir une information judiciaire.

QUELS DROITS ?

Outre la possibilité de demander directement au juge répressif de prononcer une injonction de réparation à l’encontre de l’auteur de l’infraction, et de pouvoir être à l’origine de la mise en mouvement de l’action publique en cas de carence du Ministère public, c’est surtout dans l’association à l’entièreté de la procédure que la partie civile va trouver un certain nombre de prérogatives.

En effet, en se constituant partie civile, la victime va pouvoir être associée à tout le déroulement la procédure, qu’il s’agisse d’un circuit court avec renvoi direct devant une juridiction de jugement, ou un circuit plus long avec ouverture d’une information judiciaire. La partie civile va notamment pouvoir bénéficier au droit d’être assisté par un avocat et va ainsi pouvoir accéder au dossier de la procédure. Elle va ainsi pouvoir prendre connaissance de toutes les pièces versées au dossier par le juge d’instruction et ainsi s’enquérir de l’évolution du traitement judiciaire des faits lui ayant porté préjudice. Elle pourra en complément demander l’accomplissement d’un certain nombre d’actes d’investigations visant à accroître les éléments à charge pesant contre la personne mise en examen. Elle pourra de même provoquer l’annulation de tous les actes viciés ainsi qu’exercer toutes les voies de recours contre les décisions rendues par les différentes autorités.

Enfin, elle va surtout pouvoir être présente tout au long de l’audience en tant que partie à la procédure et donc s’exprimer au cours de celle-ci, soit personnellement soit par l’intermédiaire de son avocat, son ministère étant facultatif pour la partie civile. Elle va pouvoir ainsi s’opposer à l’intégralité des arguments présentés par la défense, tant sur la procédure que sur le fond.

QUELLES LIMITES ?

Il est nécessaire à ce point de le rappeler, car la procédure française est ainsi faite qu’on a tôt fait de l’oublier : l’existence de la partie civile est justifiée par la seule nécessité de réparer le préjudice que la victime a subi par la commission de l’infraction. Tout ce qui concerne la poursuite et la sanction de la personne mise en cause ou en examen est du ressort et de l’intérêt des magistrats, tant du parquet que du siège. C’est pourquoi la déontologie dicte à l’avocat de la partie civile de n’inclure dans ses demandes une quelconque peine. Ceci relève de la fonction du Ministère public dans le cadre de son réquisitoire. La partie civile se limite à la demande d’une réparation englobant tout le préjudice, mais rien que le préjudice.

De son rôle théoriquement limité à cette seule réparation découle la règle suivant laquelle la partie civile ne peut aucunement faire appel, sur le terrain de la culpabilité, d’une décision de relaxe ou d’acquittement. En effet, cette prérogative appartient uniquement au Ministère public, maître de l’action publique. En revanche, la partie civile pourra faire appel de cette décision quant aux seuls intérêts civils en vue de se voir indemniser du préjudice qu’elle aura subi malgré tout.

QUELLES CRITIQUES ?

Les poursuites et la sanction pénale, en première instance comme en cause d’appel, n’appartiennent pas à la partie civile. Et pourtant, la méprise est aisée quant au rôle de celle-ci dans le procès pénal. En effet, de façon très cavalière et relativement inédite au regard des autres grandes démocraties, la procédure française assume aujourd’hui sans gêne le fait que la partie civile serve à corroborer la procédure mise en œuvre par le ministère public. Sorte de faire-valoir à des charges peut-être trop fragiles, elle donnerait plus de crédibilité à un dossier. D’ailleurs, selon l’interprétation des juges, une victime est parfaitement fondée à se constituer partie civile sans formuler aucune demande en réparation, en ce qu’elle tend à faire établir l’infraction ! Or, dans cette conception des choses, ne confondons-nous pas le rôle de la partie civile avec celle du témoin ? D’autant plus que la procédure pénale distingue strictement ces deux protagonistes : le premier n’a pas à prêter serment de dire la vérité, peut bénéficier de l’assistance d’un avocat tout en étant présent durant l’intégralité du procès et ainsi réagir tout au long de celui-ci en adaptant progressivement son discours à l’évolution des débats ; le témoin, quant à lui, doit justement prêté serment de la véracité du témoignage qu’il va délivrer, ne peut bénéficier de l’assistance d’aucun conseil et ne peut, bien évidemment, pas être présent au cours du procès avant d’avoir témoigné. Ainsi, on offre aujourd’hui à la victime d’une infraction, qui n’a pour seul intérêt théorique que de voir son préjudice réparé, une tribune de choix lui permettant, ne nous voilons pas la face, de mener l’accusation au côté du Ministère public, en procureur privé.

Et par là même, on dénature gravement le procès pénal tel qu’il devrait être. En effet, rappelons-le, le procès pénal oppose traditionnellement un mis en cause contre lequel court un certain nombre d’indices graves et concordants laissant à penser qu’il aurait commis l’infraction pour laquelle elle est poursuivie, et l’Etat, représenté par le Ministère public, poursuivant pour le trouble manifeste qu’a subi l’ordre public du fait de la commission de ladite infraction. Pour parvenir à un tel résultat objectif, le procès pénal se doit donc d’être dépassionné, les débats se doivent d’être rationnels afin de s’assurer que la personne poursuivie soit jugée sur des bases saines et que, le cas échéant, la condamnation prenne d’autant plus de valeur qu’elle aura été prononcée objectivement.

Que la victime puisse faire valoir son droit à réparation de son préjudice est parfaitement légitime, qu’elle exerce ce droit devant le juge pénal peut également se justifier par l’absence de spécialisation des magistrats français. Mais que celle-ci prenne intégralement part à l’audience et puisse s’y exprimer librement contre chacun des arguments présentés par la défense est parfaitement injustifiable ! Ce n’est que parce que la partie civile intervient pour défendre ses intérêts civils que cela lui octroie le droit d’empiéter sur le rôle du ministère public.

La solution retenue actuellement est d’autant moins justifiable qu’elle entraine au moins deux conséquences néfastes pour le procès pénal comme pour les victimes elles-mêmes

D’une part, et comme exposé plus haut, la présence et l’intervention de la victime en tant que partie civile, tout au long de l’audience, dénaturent le procès pénal. Celle-ci favorise une importante subjectivisation des débats alors même que le but de manifestation de la vérité sous-tendant la procédure pénale française telle qu’elle a évolué ses quelques 60 dernières années, réclame au contraire une plus grande objectivisation de la matière. Ainsi, si la victime désire intervenir dans le cadre de l’audience afin de témoigner sur la manière dont elle a vécu les faits, qu’elle le fasse sous le statut du témoin, lui imposant à tout le moins de prêter serment de dire la vérité.

D’autre part, offrir une telle place à la victime au cours de l’audience pénale est également néfaste à son égard puisque cultive en elle un sentiment vindicatif totalement contraire tant à la résilience qu’à la bonne administration de la justice.

Notre conscience collective a fini par intellectualiser l’idée suivant laquelle la victime d’une infraction, a fortiori violente, ou les proches de cette victime, auraient besoin d’une peine lourde pour nourrir le processus de résilience leur permettant de surmonter cette lourde épreuve dans leur parcours de vie. Et les associer directement au déroulement de l’audience en tant qu’acteurs de premier plan favoriserait d’autant plus ce processus psychologique.

Or il n’en est rien. Bien au contraire, nourrir un sentiment de vengeance chez les victimes en leur donnant une place aux côtés du ministère public, pour « corroborer l’action publique », fait naître chez elles de véritables espoirs de condamnation, ce qui est à l’opposé même du processus de résilience. Les émissions de vulgarisation les plus variées n’ont cesse de nous montrer les images de victimes assistant à des procès et criant au scandale en apprenant la peine prononcée, toujours trop faible pour elles. Et comment leur reprocher de penser cela alors même que notre justice actuelle, qui est supposée être sortie des temps obscurs de la vengeance comme règle de détermination des peines, continue irrémédiablement à nourrir un tel sentiment ? Ne l’oublions pas : le concept contemporain de la répression est étranger à toute idée de vengeance. La justice pénale actuelle poursuit une fonction rétributive visant à prononcer la peine la plus adéquate à satisfaire l’objectif de réinsertion sociale.

Et justement, l’affirmation peut paraitre brutale, mais elle est pourtant une évidence qu’il est nécessaire de rappeler : la peine ne concerne en rien la victime et n’a pas pour fonction de servir ses intérêts. Ainsi, associer aussi intimement les victimes aux débats de l’audience pénale ne revient aucunement à les aider. Que ces victimes soient associées directement à la procédure préalable au procès, à l’enquête, à l’instruction, c’est un besoin réciproque. Que la Justice ait à jouer un rôle d’information, de suivi, d’assistance, de soutien psychologique en association avec les acteurs du monde social et médical, c’est une évidence et une nécessité. Mais la place des victimes n’est pas celle de partie au procès pénal. Tout au plus doit-elle se limiter à celle de témoin au service de la bonne administration d’une justice pénale raisonnée et objective. La question du traitement judiciaire des intérêts civils connaît déjà un lieu d’accueil légitime : devant les juridictions civiles.

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